Par Isabelle Fragiacomo et Elsa Lamberty.
Devant un public d’une trentaine de personnes, la soirée-débat « Passage à l’acte et responsabilité » organisée par le bureau de ville Gap-Manosque de l’ACF MAP (lire la présentation ici) a débuté par un entretien entre Françoise Mary, psychologue clinicienne et membre de l’ACF MAP et Jean-Claude Ange, chef de service éducatif au CEFTP (Centre éducatif de formation aux travaux publics) d’Aspres sur Büech. Les jeunes hommes accueillis au CEFTP ont entre 16 et 18 ans et arrivent pour des séjours de 12 à 18 mois après des parcours d’une grande violence. Parfois même, les faits qui les ont amenés à rencontrer la justice relèvent de l’atrocité. Plusieurs ont un bracelet électronique. Mais ils sont au CEFTP pour faire une formation, cuisinier ou conducteur d’engin. C’est le moteur de l’action éducative et « si à l’hébergement ça explose, à l’atelier ça bosse ».
Ces jeunes tentent d’exister en s’affirmant par la violence. Les agressions physiques commises signent leur virilité. Ils sont plus discrets sur les actes sexuels. Le chef de service se garde de mettre en avant ce parcours avant la rencontre avec le jeune. Le récit des violences commises pourrait encombrer l’équipe et gêner l’instauration de la relation éducative. Si la violence physique n’est pas tolérée, l’équipe se débrouille de la violence de « leur langage qui percute ». C’est entendu comme une demande de relation : « ils viennent nous chercher ».
Pour ces jeunes, c’est toujours l’Autre/l’autre, pas eux. Le déni des actes commis est massif. Le travail éducatif permet à certains de pouvoir exprimer leur culpabilité lors des audiences qui émaillent leur parcours. Jean-Claude Ange repère que ce sont surtout ceux qui s’inscrivaient dans un lien à l’Autre/l’autre avant. Mais certains étaient déjà décrochés de l’Autre avant les faits pour lesquels ils sont condamnés. Quoi faire alors de ces actes ? Le travail relationnel de l’équipe du CEFTP avec ces jeunes leur permet de construire/ reconstruire quelque-chose d’une accroche à l’Autre et de pouvoir parfois dire un peu « je » quant à ce qu’ils ont commis.
Comment se tricote cet accrochage/ ré-accrochage à l’Autre ? En introduisant un peu de manque dans cette pulsionnalité qui cherche à détruire ou à se satisfaire dans l’immédiateté. En morcelant le parcours, en y introduisant une temporalité et un chiffrage. Des petits bouts de temps avec des petits objectifs. Des petits bouts de diplôme, comme des petites étapes intermédiaires qui creusent le trop pulsionnel. Et bien sûr réintroduire la place de la parole.
20% des jeunes accueillis valident une formation et trouvent un premier emploi à l’issue de leur séjour au CEFTP, chapeau bas !
Isabelle Fragiacomo
Lors, de la deuxième séquence de la soirée, François Leclerc, avocat, a conversé avec Bruno Miani, psychanalyste, membre de l’ECF, autour de la question du passage à l’acte et de la réponse de la justice. Nos invités interrogent ce qu’est un passage à l’acte à partir d’un cas, issu d’une affaire judiciaire passée devant le tribunal, dont les coordonnés sont énoncées avec précision. François Leclerc et Bruno Miani questionnent dès lors la responsabilité d’un sujet quand il passe à l’acte ainsi que la responsabilité de la justice face au passage à l’acte. Les détails du déroulement de l’histoire du cas exposé sont importants ainsi que les dires du jeune homme qui passe à l’acte. Un jeune homme, M., a tenté de tuer un camarade, C., à l’issue d’une discussion plutôt paisible. M. avait déjà eu une altercation un soir, quelques semaines auparavant, avec un couteau. Ce détail est important puisque dans la clinique du passage à l’acte nous repérerons que l’acte se répète. Donc M., autre détail important, cherche toute la journée C. pour avoir une explication avec ce dernier du fait qu’il aurait flirté avec sa petite amie. M. finit par trouver C, il est à ce moment-là dans sa voiture, avec la copine en question, A. M. descend de sa voiture, la conversation entre les deux jeunes gens est tranquille, ils discutent. C. dit être étonné car il ne semblait pas savoir que A. était la petite amie de M. puis C. s’éloigne. M. entre dans sa voiture et se met à pleurer. Il aperçoit sous le siège son arme, qu’il avait achetée quelques semaines auparavant, s’en empare et vise C. par la fenêtre, le blessant gravement. Voici ce que dit M. quelques heures plus tard à la police: « C’était un coup de folie, j’ai pété les plombs » et « Le coup est parti tout seul ». M. ne nie pas son acte mais il ne peut rien dire de ce qu’il s’est passé, ses explications sont purement formelles, factuelles. Bruno Miani le reçoit. M. répétera à propos de son acte « C’est comme ça ». Il y a rupture entre l’acte et le sujet qui l’a commis. M. dira qu’il a « trouvé » le révolver, qu’ « il n’a pas visé C. » et reconnaît que la conversation avec C. était calme. Nous apprenons que M. était un enfant collé à sa mère, « dans ses jupes », le père est violent, absent jusqu’à la puberté de M. puis le père revient au foyer et met M. dehors, le considérant comme un rival : ce père n’introduit pas la loi, il ne fait pas tiers. Dans la scène avec C., on entend ici à quel point l’acte de M. vise quelque chose d’insupportable chez l’autre que le sujet ne peut traiter avec le langage. Le sujet est éjecté en acte et éjecté de la scène de la parole, comme il était éjecté par le père de la scène familiale. La thèse classique du passage à l’acte dans la psychose est qu’il permet l’extraction de ce quelque chose d’insupportable chez l’autre et apaise le sujet. Ici, le passage à l’acte, loin d’affirmer la présence d’un sujet, dénude sa place d’objet éjecté répétitivement. Ce que va confirmer ensuite son incarcération.
François Leclerc laisse entendre la difficulté, en tant qu’avocat, à défendre un sujet qui a commis un passage à l’acte du fait que ce dernier n’ait pas la moindre explication : le discours est plaqué, le sujet ne prend pas acte de son passage à l’acte.
Ici la psychanalyse peut apporter une réponse à l’embarras du magistrat : malgré la dimension représentative du passage à l’acte, celui-ci révèle l’absence du sujet dans ce qu’il accomplit. On rejoint ici dans le passage à l’acte ce que le droit exprime sous la forme de l’absence de discernement, ou d’altération du discernement.
Quelle responsabilité pour le sujet qui passe à l’acte, là où, justement, le sujet est éjecté de la scène ? F. Leclerc a situé ce qui suit comme étant la théorie du droit concernant la folie : « Le code pénal prévoit l’altération du discernement, le plus souvent le cas de psychose est entendu par le juge et la loi ne reconnaît pas la responsabilité du sujet. Le code pénal reconnaît aussi le discernement altéré où le sujet est partiellement responsable auquel cas il purge le tiers de sa peine ».
F. Leclerc a insisté sur le paradoxe où justement le sujet dont on a reconnu l’altération du discernement voit paradoxalement sa peine augmentée par le juge.
Alors que l’emprisonnement, la punition n’opèrent pas du côté de la coupure pour de tels sujets, ils sont mis à l’écart de la société là où la parole est déjà pour eux à l’écart.
Elsa Lamberty
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