Nous cherchons à élucider les conditions d’entrée dans le dispositif du CPCT et la clinique qui s’en dégage. Le consultant du groupe A a la tâche de filtrer les premières demandes et d’orienter ou non pour l’accessibilité au traitement. Mais seules les demandes au cas par cas déterminent notre choix, ce n’est jamais un pourquoi pas soumis à l’aléatoire. Chaque entrée se démontre par ses coordonnées subjectives, une « focalisation du signifiant[1] » pour reprendre une expression de Serge Cottet, et vise à cerner un point de réel qui cause la souffrance du sujet. Il s’agit de miser sur la rencontre, non avec le clinicien du groupe A mais avec la psychanalyse portée par le CPCT. Privilégier une « clinique de la rencontre » avec le discours analytique aura chance de produire des effets et d’ouvrir une voie possible à l’urgence subjective, à l’urgence à dire si et seulement si cette urgence est entendue et accueillie.
Mathilde a 20 ans, elle vit avec sa mère C’est le centre de dépistage pour VIH qui l’oriente au CPCT. Cette jeune femme, timorée et mal à l’aise s’exprime difficilement, non sans hésitation, je dirai à la mesure de l’enjeu subjectif de cette première rencontre pour elle. Que lui arrive-t-il ? Après avoir échoué sa première année de sociologie et de par ses difficultés financières, Mathilde a décidé de trouver un emploi. Elle accepte un poste d’hôtesse dans un bar. Face à sa réserve quand je lui demande de préciser en quoi cela consiste, elle consent à dire avec une légère gêne, paradoxale à son énonciation plutôt directe « C’est racoler les clients et leur dire qu’ils passeront un bon moment. » et rajoute : « une pute mais sans sexe ». Dans « ce travail », elle a pris de très gros risques avec sa vie, elle s’en étonne aujourd’hui. Contre son gré, et mue par la crainte que sa mère ne la mette à la porte, Mathilde a cessé ce « travail ».
Un réel inattendu surgit ; le sexuel infiltre sans voile ses dits. Elle livre, à ciel ouvert, que durant son jeune âge, son père a eu des gestes déplacés à son encontre jusqu’à l’âge de ses 12 ans. Un procès a conduit à son incarcération quand Mathilde a avoué les faits à sa mère. La sexualité du couple parental est connue de Mathilde : échangisme, projection de films pornographiques. Le regard de Mathilde sur la jouissance sexuelle débridée de sa mère est convoqué par l’évocation de la scène suivante : elle a vu sa propre mère dans un film que son père lui a projeté « coucher avec 5 hommes à la fois ». Sans affects apparents ni division subjective, Mathilde poursuit l’évocation de ses secrets de jouissance, non bordés par quelque défense : elle a subi « les tripotages du père » qui lui disaient des « choses sexuelles insupportables ».
De cette expérience, « une seule chose lui reste d’innocence » : Mathilde est toujours vierge. Une jouissance interdite et paradoxale émerge : dégoûtée d’elle-même, elle serait pourtant prête à y retourner si on le lui demandait. Mais, ce qui la freine à ce jour, c’est le froid, l’hiver, dans la rue et la crainte que sa mère ne l’apprenne.
Lors de cette première séance de consultation, un réel est ainsi dénudé, la composante sexuelle déborde sans voile, sans le filtre du refoulement. Mathilde a déjà consulté maints psychologues mais interrompt tout suivi au bout de 5-6 séances. Pourquoi alors aujourd’hui lui ouvrir la porte du CPCT ? Sa question laisse entendre une urgence subjective à prendre en considération : elle ne sait pas quoi faire de sa vie et elle sait qu’il est temps qu’elle réagisse. Elle a déjà pris trop de risques : « Ce n’est pas valorisant de se dire que sa place est dans le trottoir ». Mathilde fait émerger cet axiome qui prend figure de destin et se répète dans le secret de sa vie intime : elle dit avoir baigné dans « l’aspect sexuel ».
L’éthique, nous dit Lacan, « c’est le repérage de l’homme par rapport au réel[2] ». Pour Mathilde, nous avons pris la responsabilité de lui permettre de franchir un seuil, une insertion dans sa relation au signifiant, seule voie possible pour produire du sujet, seule chance pour réfréner une pulsion dérégulée soumise à un Autre jouisseur. Aura-t-elle prise sur le discours analytique ? Consentira-t-elle à faire barrière à ce réel sans loi qui la domine ? Pourra-t-elle, même partiellement, endosser la responsabilité de sa jouissance pour un nouveau départ ? Sans doute est-ce une vaste ambition mais tel est notre pari.
[1] Cottet, Serge, l’inconscient de papa et le nôtre, Edition Michèle, 2012, p 233.
[2] J. Lacan, Le séminaire, livre VII, l’éthique de la psychanalyse, p 21
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse, Le Blog CPCT
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