CPCT. « Cavalier seul », par Philippe Cervettaz

Avec « Cavalier seul », Philippe Cervettaz, consultant au CPCT Marseille, livre une vignette clinique élaborée dans le cadre du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse tenu en septembre 2019.  
Cette vignette s’inscrit dans un ensemble de cas livrés, sauf un, par les consultants au CPCT Marseille-Aubagne, qui témoignent de l’orientation psychanalytique des traitements au CPCT, dispositif gratuit, limité dans le temps et dans lequel les consultants sont bénévoles. Ces cas cliniques sont totalement anonymes et construits en logique. Ils rendent compte des effets obtenus et du travail de recherche conduit dans ce dispositif. Ils témoignent aussi de la façon dont les problématiques contemporaines sont abordées au CPCT où les pathologies sont pensées à l’aune de la subjectivité des patients. 

Il n’y a pas de prise plus totale de la réalité humaine que celle faite par l’expérience freudienne et le retour à Freud instauré par Lacan proposant trois registres, essentiels et très distincts, permettant de la saisir : S I R. Le Symbolique, c’est le langage ; l’Imaginaire, c’est le corps ; le Réel, c’est la jouissance. Les premiers jalons sont posés afin de rendre compte de la rencontre de la psychose en seize séances au Centre Psychanalytique de Consultation et Traitement.

Autre prémisse : la clinique est « le réel en tant qu’il est impossible à supporter ». Il y a aussi cet énoncé logique connu de tous, « le réel, c’est l’impossible ». « Ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » se rencontre donc dans la clinique et c’est à partir de là que le consultant choisit de s’orienter. Voilà se dénuder l’enjeu de la rencontre et ce qu’elle requerra de supporter. Maintenant, les voilà convoqués, les corps, comment pourrait-il en être autrement pour supporter ? Chacun le sien, consultants, patients, c’est le « ce qui ne cesse pas de s’écrire » de la rencontre analytique. Nous y sommes, le parlêtre est là. Le cas par cas vient de jaillir pour atteindre sa cible, la flèche est à usage unique.

DUEL

Seul, il fait cavalier seul, telle est son histoire, la liberté est sa jouissance quand il arrive dans le sud de la France. Une rupture sentimentale a ouvert une faille qu’il a pris l’habitude de recouvrir par l’alcool et les médicaments. C’est « pour se prendre en main » qu’il a quitté sa ville, son métier, une mère qui « fait tout pour lui » et un père qui « peut tout donner ». La raison de son déplacement se trouve dans l’objectif d’obtenir un diplôme d’expertise. Monsieur Lecompte a trente cinq ans, son style est soigné, rien ne dépasse, ses habits sont ajustés au plus près, il aime plaire et « fait attention à son image ». Les regards dans la rue l’impliquent. Son « père est une super image » qui l’ « impressionne » dans le « tête-à-tête ». D’ailleurs, il « préfère ne pas trop en dire » dans certaines situations sociales. L’imaginaire est très prégnant pour ce parlêtre qui manifeste du transitivisme.

C’est l’ultimatum d’une femme, surprise de le voir « si peu organisé » et « tellement collant », qui crée l’opportunité d’un rendez-vous au CPCT. Monsieur Lecompte veut « faire l’effort » de fonctionner autrement, prendre en charge cette « partie ambiguë » dont il a peur qu’elle « sorte de lui-même ». Dès lors, seize pas pour le clinicien, seize pas pour monsieur Lecompte, seize pas pour se décoller de l’autre, se retourner et régler son compte à la jouissance qui, déchainée, délocalisée, fait parfois retour dans le corps – fracture au terme d’une soirée débridée et alcoolisée, ou conséquence des coups du père lors de disputes familiales. Chaque pas venant donner corps aux grimaces du réel désignées dans le discours par « ma paranoïa », « mes auto-tortures », « mes bêtises ». Chaque pas pour désactiver l’agressivité manifestée dans la peur de « porter préjudice », de « contaminer » l’autre, de se faire contaminer par l’autre.

C’est l’enjeu au CPCT dans la rencontre de la psychose. Les protagonistes sont seuls impliqués dans une scène qui devra trouver sa résolution au-delà d’un trou forclusif toujours menaçant d’une issue fatale.

 

 



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