En préparation de la Section clinique 2020 d’Aix-Marseille qui a pour thème « Comment s’orienter dans la clinique aujourd’hui? », Sylvie Berkane-Goumet, psychanalyste à Marseille, membre de l’ECF, enseignante à la Section clinique, nous livre un texte intitulé « S’enseigner de la psychose »
« êtes-vous bien Mme Z ? » […] rien, dans le ton de la question, n’éveilla la méfiance de l’actrice […] elle répondit affirmativement et, pressée d’en finir, voulut passer. L’inconnue, alors, dit l’actrice, changea de visage, sortit vivement de son sac un couteau tout ouvert et, le regard chargé des feux de la haine, leva son bras contre elle. Pour parer le coup Mme Z; saisit la lame à pleine main et s’y sectionna deux tendons fléchisseurs des doigts [….]. La femme refusa d’expliquer son acte, sinon devant le commissaire. »[1]
Ses propos sont incohérents elle soutient que, depuis de nombreuses années, l’actrice aurait fait contre elle du scandale.
Ce fragment est extrait de la thèse de Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, achevée en 1932 et consacrée au cas de Marguerite Pantaine.
Lacan reconstruit l’histoire de la maladie de celle qu’il nommera Aimée, prénom de l’héroïne d’un roman que cette femme a écrit. Il observera Aimée quasi-quotidiennement pendant un an et demi. Dans sa thèse, il logifie le cas, faisant émerger un type clinique nouveau la paranoïa d’autopunition, nouveau relativement aux travaux des psychiatres de l’époque. Je le cite : « notre étude permet de déterminer un type de crimes, les délires d’autopunition, qui sont des crimes du Sur-moi[2] » La question du surmoi, soulevée par Lacan, peut sembler paradoxale, en ce que le surmoi supporte les interdits, elle est néanmoins essentielle au regard des développements ultérieurs que lui donne Lacan.
Comment comprendre le geste perpétré contre l’autre dans la logique subjective d’une autopunition ? Lacan donne cette réponse : Aimée se sent coupable du sort de son fils : « Précisons par contre certains traits qui, par rapport à la description classique, font la particularité du délire de notre cas. Il n’est absolument pas centripète, puisque exactement les menaces en sont centrées autour de l’enfant. Une note d’autoaccusation y intervient (l’enfant est menacé parce que sa mère a plus ou moins mérité d’être punie)[3] ». L’originalité de l’approche est claire : le passage à l’acte est la conséquence du sentiment de culpabilité. Pour le dire autrement, la logique subjective prend appui sur l’histoire du sujet et notamment sur ses modalités de rapport à l’autre. Lacan le formule, à l’époque, en recourant à la notion de personnalité.
Le passage à l’acte engage la question de la responsabilité, qui interpelle les juges de l’époque (mais qui demeure d’actualité) ; c’est dans ce contexte que Lacan avance ses premières hypothèses. Il reviendra sur ce cas des années plus tard et démontre qu’en localisant la source de la persécution, le délire paranoïaque tente de stabiliser le monde auquel a affaire Aimée, qu’il a en quelque sorte une fonction sociale.
Il se détache clairement de l’approche phénoménologique qui prévaut parmi ses collègues au moment où Aimée passe à l’acte dans l’approche psychiatrique et, ce faisant, « Lacan relève le gant d’appliquer la méthode freudienne à la psychose[4] ».
C’est le premier pas théorique de Lacan : reconstruire à partir des découvertes freudiennes sur la névrose un nouvel éclairage de la psychose. Il ne s’en tiendra pas là ! Les années soixante-dix ouvrent de nouvelles perspectives à la clinique : Lacan s’enseignera de la psychose pour saisir ce qui de la jouissance parasite la névrose. La distinction tranchée entre psychose et névrose s’estompe alors au fil de la dernière partie de son œuvre. La topologie du nœud à quatre ravale le Nom-du-Père à n’être qu’un symptôme, au même titre que d’autres, symptôme dont la fonction est un nouage entre le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. La distinction clinique entre névrose et psychose reste essentielle à opérer dans la direction de la cure mais elle se spécifie autour des nouages singuliers qui se déclinent à l’infini. Chacune de ces déclinaisons vise à l’apaisement du sujet, procède d’une défense contre le Réel sans loi.
Cette nouvelle approche conceptuelle permet de rendre compte des pathologies contemporaines puisqu’elle prend en compte, comme le dit Jacques-Alain Miller, « le bouleversement de l’ordre symbolique dont la pierre angulaire qu’est le Nom-du-Père s’est fissurée.[5] »
[1]Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil, Paris, 1975, p.153.
[2] Ibid., p.302
[3] Ibid., p.204
[4] Laurent D., Ornicar 2003
[5] Miller J.-A., « Le réel au XXIème siècle. Présentation du thème du IXème Congrès de l’AMP », La Cause Du Désir, n°82, 2012, p.88.
Catégories :Newsletter SC, Session 2020
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