Le 30 novembre 2019, la Journée d’étude du Bureau de ville Gap-Manosque de l’ACF-MAP a rassemblé une quarantaine de participants sous la présidence de notre invitée, Jacqueline Dhéret psychanalyste à Lyon, membre de l’ECF. Isabelle Bezard-Fragiacomo revient sur cette journée de l’ACF en MAP qui s’intitulait « La violence faite aux femmes » avec ce texte Hors de soi
Des interventions croisées
L’introduction de Lisiane Girard, secrétaire du Bureau de ville amorça le dialogue que nous voulions construire entre justice et psychanalyse, autour des signifiants « violence » et « femmes ». Agnès Vibert-Guigue et Aude Roma-Collignon, avocates à Gap, ont fait valoir que le législateur n’est pas à la traîne sur la question des violences faites aux femmes, mais que cet arsenal juridique peine à déboucher sur de véritables actions de prévention et de réparation ou sur des condamnations. Avec Isabelle Defarge, magistrate et présidente du Tribunal de Grande Instance de Gap, nous avons entendu comment son expérience l’a conduite à une position pas-toute : « l’imagination des humains en matière de violence n’a pas de limite… On attend de la justice des résultats qu’elle ne peut pas donner, on avance dans le noir, on traite les cas au un par un. Le juge s’insère entre la loi comme dispositif symbolique et la réalité. Sa décision n’est qu’un point dans une histoire, à la personne de s’en emparer. Nommer, qualifier les faits, c’est déjà une étape ». Bruno Miani et Martine Revel psychanalystes de l’ECF à Gap et Manosque ont discuté ces séquences. Les petits intermèdes littéraires lus par Brigitte Benguerine psychologue clinicienne et comédienne, nous ont percutés : « Elle, elle disait « j’ai rien fait ! j’ai rien fait ! » sous les coups. martin ça l’empêchait pas de frapper comme s’il lui faisait l’amour. il la touchait, ça le soulageait. il trouvait ça normal. il était amoureux d’elle (…) quand martin s’arrêta (…) il était tellement calme. et nathalie aussi [i]». Pour cette journée, Claudine Meyer plasticienne[ii] nous avait prêté une sculpture « Silence ». Isabelle Bezard Fragiacomo psychologue clinicienne a relayé les mots de l’artiste : « silence de l’indicible, de l’irréparable (…) les sculptures en fil de fer tressé évoquent le corps absent dont la robe reste le témoin » et souligné que la structure trouée de la sculpture consonne le propos de Lacan : « la femme n’existe pas ». L’après-midi, la conférence très clinique de J. Dhéret « l’imparlable » a été discutée par Jacques Ruff psychanalyste de l’ECF à Gap.
Qu’avons-nous appris au fil de cette journée ?
Les apports des intervenants, notamment ceux de J. Dhéret furent très éclairants pour dégager des boussoles pour cette clinique de « la violence faite aux femmes ».
Sujet du droit, versus sujet de parole : Si magistrats et psychanalystes ont ceci en commun qu’ils en passent par la parole et par la présence des corps, c’est le sujet du droit qui intéresse les premiers. Pas de sujet de droit en psychanalyse, mais un sujet de la parole, qui relève des effets de ce qu’il dit. La patiente adolescente de J. Dhéret dont le père coupable d’inceste est incarcéré, est exemplaire à et égard. Le jour du procès elle dit « Je suis ici pour dire que je n’ai pas menti. Ce que j’ai dit, je l’ai dit. Je ne peux pas redire ce que j’ai dit. C’est dit ! » Dire est un acte. Le rapport à la parole relève de l’éthique.
Victime, versus sujet de la parole : Nous avons évoqué la prise de parole d’Adèle Haenel qui a finalement porté plainte sous la pression. Peut-on supporter une femme qui parle, sans l’assigner à une place de victime ? J. Dhéret évoquera une femme violentée qui avait affirmé « c’est l’homme que j’aime, je lui demande seulement de se soigner ». Il n’a été accordé aucune crédibilité à sa parole, elle a été ravalée au rang de « victime sous emprise psychologique ». A force de définir le droit, on peut enlever la possibilité de parler !
Faire barrière à « l’imparlable » (ou « irreprésentable »). L’horreur fait partie de la vie. Autrefois le tragique et la religion lui donnaient forme. Pour que le désir se structure et qu’un homme trouve à faire avec l’autre, il y a à consentir à une perte, à mettre « La chose[iii] » hors de soi « ça ce n’est pas moi »… L’opération de « sépartition[iv] » ouvre aux représentations qui construisent des circuits pulsionnels permettant d’entamer la jouissance.
Le « hors de soi » de l’homme violent : Avec le patient dont J. Dhéret nous a parlé, on aperçoit que lorsqu’un sujet n’a pas pu faire avec le symbolique, et que la pulsion n’en passe pas par un hors de soi, il ne réussit pas à faire avec l’énigme de l’attirance qu’il éprouve pour une femme. J.Dhéret fait équivoquer hors de soi : c’est alors le passage à l’acte qui permet d’arrêter l’envahissement de jouissance. Nous sommes loin des scénarios pervers !
Le « hors de soi » de la femme violentée : J. Dhéret rapporte encore les paroles d’une de ses patientes : « quand le trop devient la norme quotidienne, on s’y soumet. On ne se soumet pas à un homme, on se soumet à ce qui ne peut pas s’arrêter ». Notre invitée a fait valoir comment ces femmes trouvent refuge dans une absence à elles-mêmes. Dans ce qui se passe, elles n’y sont pas.
On voudrait bien que la parole délivre…
A la fin de sa conférence Jacqueline Dhéret a mis l’accent sur le rapport problématique de tout sujet avec lui-même. La parole ne délivre pas toujours, parfois la parole dévoilée peut aller dans le sens du débordement. « On parle tout seul, c’est le statut premier de l’être parlant. » conclut-elle.
[i] Natyot (2016) D.I.R.E, Gros textes, p44.
[ii] voir son site : meyer-site.net
[iii] cf Freud
[iv] Lacan, Le Séminaire, livre X, l’angoisse, p273
Photo: Silence, Claudine Meyer. Avec l’aimable autorisation de l ‘artiste.
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