En préparation du Colloque Vieillir qui aura lieu le 3 décembre à Marseille, Patrick Roux, psychanalyste à Toulon, membre de l’ECF, consultant au CPCT Marseille-Aubagne nous livre ce texte intitulé » Le sujet n’a pas d’âge« .
Dès ses premières élaborations du concept d’angoisse (1895), l’expression choisie par Freud d’ « attente anxieuse » – dont il fait un « symptôme nucléaire » – fait entendre que l’angoisse a partie liée avec le temps. Dans « Le Temps logique »[1] (1936), Lacan va plus loin : il inclut le temps lui-même dans la subjectivité : tout sujet s’affronte à l’énigme du désir de l’Autre et son attente porte électivement sur la réponse de l’Autre.
C’est pourquoi la clinique des moments de crise, au cours desquels la défense du sujet est mise à mal, dénude la fonction du temps, inéliminable de notre calcul. Le temps presse et le sujet est oppressé. Le travail de parole enclenché dans ces circonstances peut s’avérer précieux. Il permet d’ouvrir un « temps pour comprendre » là où le sujet peut être tenté de s’en sortir (de l’attente anxieuse) par le circuit court du passage à l’acte. Ce peut être l’occasion un premier dépliage de « l’accordéon du fantasme »[2]. Cette théorie du temps logique de Lacan a le mérite de nous fournir un opérateur indépendant de l’âge chronologique du sujet et donne sa véritable assise au topos « Le sujet n’a pas d’âge ».
L’abord par le temps logique a rendu possible le pari clinique fait avec Claudia. Cette jeune fille de quinze ans s’est « précipitée » en consultation peu après avoir fugué de chez ses parents. Elle veut mettre fin à des années de maltraitance de la part d’une mère alcoolique et d’un père extrêmement violent. Qu’attend-t-elle au juste ? Aux abois, elle demande à être placée quelques jours « pour faire peur à ses parents » et que le clinicien tienne secret l’institution qui serait choisie. L’état d’angoisse dans lequel est plongée l’adolescente, refusant de donner son nom, témoigne de l’urgence subjective certaine.
Deux faits ont cristallisé pour ce sujet l’instant de voir : une violente dispute avec sa mère – une de trop – au cours de laquelle la mère « s’est roulée par terre en poussant des cris de folle ». L’appel au père – comme principe d’arrêt – échoue, voire ne fait qu’empirer les choses. C’est le père terrible qui répond : « avec une drôle de voix, comme s’il veut me donner un coup de poing ». Formule qui nous mettra la puce à l’oreille. C’est alors qu’elle quitte la scène.
Voilà ce qui conduit le clinicien à improviser un dispositif sur mesure. Bousculant son emploi du temps, il ouvre sur le champ un temps de parole. Une série de quatre entretiens très courts aura lieu, au cours de l’après-midi. Ce « temps pour comprendre » permet à cette adolescente, qui n’avait jamais parlé de sa souffrance, de repérer quelques coordonnées de sa position dans cette situation. Elle se fait la cause des hurlements de sa mère et – cela s’enchaîne dans les faits – l’objet souffre-douleur de son père exaspéré : « Il croit que je veux être le chef ». Ce cycle dure depuis des années.
Cette première élaboration apaise l’angoisse. L’inconscient s’est mis au travail, des formations en témoignent, par exemple « Je suis partie, j’ai bien fait mal ». Pourtant ce premier tour échouera à réduire le traitement imaginaire de l’angoisse mis en place pour suppléer à la carence symbolique. La volonté de « faire peur à l’autre » ne cède pas.
Le temps social suit son cours. Arrive la fin de l’après-midi et l’heure de fermeture. Que faire de cette jeune fille qui refuse de partir ? Malgré l’engagement du clinicien à rencontrer la famille, Claudia reste sur sa position ; elle exige qu’on la « mette dans un foyer » tenu secret. C’est au moment où je me résous à trouver une solution sociale – recours à la brigade des mineurs – que Claudia se ravise. Elle décline son identité et décide de rentrer, non sans exiger « Appelez mes parents et dites-leur les bonnes paroles ». Entendons cela comme un appel au symbolique, comme principe d’arrêt aux dérèglements de jouissance. J’appelai donc, en sa présence, la mère de Claudia, non sans faire entendre un « Je sais ». Rendez-vous est pris.
Le temps pour comprendre, brisant la loi du silence, ne fût pas vain. Ce sera le début d’un travail de parole, mais il a surtout permis à Claudia de conclure pour elle. Au « Il faut que ça s’arrête » (d’où le recours au tiers) s’est substitué un « Il me faut faire cesser cela ». Conséquence : peu après et avant le rendez-vous prévu, Claudia enclenche d’elle-même le signalement de maltraitance sur son collège. Un premier moment de conclure a eu lieu, selon le temps logique et, in fine, le sujet reprend la main.
Faire place à la causalité psychique implique de se mettre à l’heure du sujet. L’usage du signifiant a autorisé un usage particularisé du signalement. Ce n’est pas : soit l’un, soit l’autre. Le signalement s’avéra fondé mais Claudia fera de son silence un symptôme. Une question en effet, l’a intriguée « Pourquoi être restée silencieuse si longtemps ? »
[1] Lacan J. Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, Ecrits, Paris, Seuil, 1966.
[2] Selon une expression de J.A Miller.
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