CPCT. « Soutenir la petite flamme de vie chez un sujet psychotique », par Renée Adjiman

Avec « Soutenir la petite flamme de vie chez un sujet psychotique », Renée Adjiman, consultante au CPCT Marseille, livre une vignette clinique élaborée dans le cadre du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse tenu en septembre 2019.  
Cette vignette s’inscrit dans un ensemble de cas livrés, sauf un, par les consultants au CPCT Marseille-Aubagne, qui témoignent de l’orientation psychanalytique des traitements au CPCT, dispositif gratuit, limité dans le temps et dans lequel les consultants sont bénévoles. Ces cas cliniques sont totalement anonymes et construits en logique. Ils rendent compte des effets obtenus et du travail de recherche conduit dans ce dispositif. Ils témoignent aussi de la façon dont les problématiques contemporaines sont abordées au CPCT où les pathologies sont pensées à l’aune de la subjectivité des patients. 

Comment opérer au CPCT ? Telle est la question que je me pose chaque fois que j’y reçois un nouveau patient  psychotique.  Car « en quelques séances comptées, il s’agit de construire la boussole qui permettra au sujet de s’orienter a minima dans l’existence et de mieux s’y retrouver[1] ». Les deux vignettes cliniques qui suivent démontrent comment j’opère à partir d’un point qui me touche chez les sujets psychotiques, des êtres « atteints au joint le plus intime du sentiment de vie[2] ». Soutenir  cette petite flamme de vie oriente mes interventions pour extraire au cas par cas  dans les dires d’un sujet ce qui pourrait lui servir d’appui et le  soutenir dans la vie. Je prendrai deux vignettes cliniques  qui ont marqué ma rencontre avec la psychose au CPCT.   Elles ont été publiées l’une dans « Entrées dans les psychoses » et l’autre dans « Casuistique des psychoses ». Nicolas[3] présente dans ses premiers entretiens « un sentiment de vide et de souffrance » contre lequel il lutte en s’impliquant dans des dispositifs de drague où il fait souvent de très mauvaises rencontres. Il se fait objet sexuel livré au plaisir de l’Autre. Loin de contester cette position, il s’y enferme ; au cours du traitement il donnera les coordonnées de ses pratiques, qu’il nomme « mes addictions » ; il calme son angoisse et pallie ainsi le vide auquel il est confronté dans ces rencontres « sans paroles et sans lendemain ». Au fil des séances, il a trouvé de petites solutions que j’ai soutenues.  Le CPCT lui a permis de localiser sa pulsion de mort, d’inventer de menus bricolages pour apaiser son rapport à l’Autre, apprivoiser et humaniser sa solitude. Ilana[4], SDF, arrive au CPCT avec un phénomène  persécutif : «  Je suis maltraitée. » Ce sujet se présente ainsi d’emblée envahie par une jouissance mortifère. Cette jouissance de l’Autre qui surgit sans médiation symbolique est, dans la psychose, propre à la forclusion du Nom du Père. Elle parle de sa vie d’actrice ayant joué sur des scènes internationales, et présente les écrivains et comédiens qu’elle a rencontrés « ici et là ». Mais très vite Ilana a la conviction qu’on va abuser d’elle, « la laisser en plan » jusqu’à l’anéantissement réel, jusqu’à sa propre mort. Le « laisser en plan », qu’elle formule ainsi «  être jetée à la poubelle », indexe sa position d’abandon. Prise dans ce programme de jouissance, elle abandonne à son tour et disparaît quand elle est soumise à un Autre supposé jouisseur. Un jour, alors qu’elle me racontait un épisode de sa vie où elle était partie à l’étranger retrouver son grand-père maternel, elle dit avoir été recrutée par l’armée pour gérer une équipe de snippers. Je ponctue son récit par : « Quelle belle histoire ! ». Soutenir la solution par l’imaginaire pour ce sujet au bord du trou, dans l’errance psychique et sociale, lui a permis de s’inventer un nom du père en volant des bouts d’histoire aux passants dans la rue. La clinique au CPCT est ainsi un formidable laboratoire de recherche pour qui consent à « ne pas reculer devant la psychose ».

[1] Commentaire  d’Yves Depelsenaire dans «   Ce qui opère » : CPCT Paris «  collection rue Huysmann » p. 51

[2] Lacan Jacques, «  D’une question préliminaire à tout traitement  possible de la psychose », Écrits, Seuil, Paris, p. 558

[3] Entrées dans les psychoses : Etudes cliniques, sous la direction d’Hervé Castanet, collection Economica Anthropos. P. 223

[4] Casuistique des psychoses du Nom-du-père au père pluralisé, sous la direction d’Hervé Castanet, collection L’Avenir-dure-longtemps. p.37



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