Dans le cadre du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse qui a eu lieu les 26 et 27 septembre à Aix-en-Provence, Alain Revel, psychologue clinicien, nous livre une vignette clinique à propos du thème du colloque: « psychiatrie-psychanalyse, quel nouage aujourd’hui ? »
Un bout de chair
Damien fait le siège du centre de consultation afin d’avoir rapidement un rendez-vous. Il a cassé un objet auquel il tenait dans une grande colère. Quelque chose se manifestait là en excès. Plus généralement, il ne peut comprendre ce que les mots désignant les sentiments, les affects veulent dire. Les signifiants n’affectent pas son corps. « Pouvez-vous m’aider à ressentir les choses ? » La rencontre avec la psychanalyse est contingente. Il avait demandé un rendez-vous, je l’ai reçu.
Damien ne croit pas à l’inconscient, c’est une hypothèse et on ne peut la prouver. Son cursus universitaire est avancé et le fonctionnement du cerveau le passionne, par contre les concepts freudiens lui sont insupportables. Pour lui, pas de manifestations de l’inconscient, il y a un fonctionnement du cerveau et celui-ci compense les difficultés singulières. Il voudrait être transparent à lui-même mais quelque chose insiste, fait irruption. « L’union de la parole et du corps est un mystère [1] » en ce qui le concerne. J’ai pris le parti de l’écouter du côté de ce qu’il nomme un fonctionnement singulier et de comment il se débrouille. Cela prendra la forme d’un inventaire pragmatique.
L’écrit et la voix
L’écrit lui pose des difficultés pratiques. Il a fait partie de ces enfants dits ‘’dyspraxiques’’ avec une scolarité compliquée et des suivis multiples. Écrire pouvait toujours devenir « pâté », déchet et, alors qu’il a eu très tôt un usage précis et élaboré des mots, lire un texte ne tient pas beaucoup. Le sens d’un mot, d’une phrase peut toujours se perdre, les lignes même peuvent se brouiller. Par contre, il n’a aucune difficulté pour lire et utiliser ses notes de cours car l’écrit vient de ce qu’il a entendu. À partir de ça et de quelques astuces pour saisir les résumés des livres, il se débrouille. La voix peut aussi être localisée sous forme d’un casque audio très présent dans sa vie, mais certaines intensités sonores sont à exclure en rapport avec des chiffres précis. Il faut donc qu’il s’assure d’un lien entre la voix et l’écrit.
La mémoire
La mémoire lui fait défaut. Il lui est bien souvent impossible de se souvenir de ce qu’il a fait dix minutes avant. La mémoire n’est pas le lieu d’un savoir supposé, c’est un phénomène hors sens. Son Smartphone, grâce à la notation écrite, sera une aide pour les séances. Une chose pensée dans la semaine, un rêve qui le réveille, une parole entendue, constitueront une liste hétéroclite. Cela viendra effectuer un nouage avec la parole en séance. Le silence lui est insupportable et provoque chez lui de la colère, ça ne sert à rien. Comme l’oubli, le silence résonne trop telle une énigme. Un ton de conversation doit être maintenu dans nos échanges, mais c’est précaire.
– « Est-ce que la psychanalyse est la bonne méthode pour moi ?
– La méthode, vous savez, ça se construit dans la rencontre, ici même. »
La méthode comme solution viendra de lui. Il me propose que je prenne des notes en séances. Il suppose que j’en prends après mais cela le rassurerait qu’il en soit certain, car ainsi le lien entre les séances serait garanti. Le lien entre la voix, ce qui a été dit dans la séance, et l’écrit est fixé. Les signes de colère dans les moments de silence disparaissent. Petit à petit nous passerons de la liste, au développement plus libre à partir de ces éléments listés, à ne plus à avoir à la lire, jusqu’à à parler quasiment en associations, mais je note toujours.
Le corps.
Un souvenir d’enfance : en présence de sa « nounou », il voit un bout de peau de son pied qui se détache. Est-ce un vrai ou un faux souvenir ? Perplexité. Ce souvenir princeps concernant son pied a un statut très « instable », il qualifie ainsi son corps. Quelque chose a impacté son corps, c’est un trou dans l’imaginaire, un impossible à nommer qui a des effets réels dans son corps. Déséquilibres, tensions musculaires douloureuses, pieds plats, il doit s’assurer de la présence de ses appuis quand il n’est pas verticalisé et il dort assis, souvent. Les pieds, « cela ne sert à rien ». Le corps tout entier peut devenir une loque. Au seuil de l’adolescence, une opération sur son frein pénien est nécessaire, effet direct, à la lettre : la sexualité surgira alors d’emblée, une sexualité qu’il qualifie de gay. Elle restera cantonnée dans des rencontres ponctuelles où il s’agit « des bouts de corps » de l’autre. Ce dont il témoigne ce sont des irruptions de jouissance et de sa façon d’inventer des solutions qui lui permettent de traiter ce qui du réel l’assaille dans son corps : nouage écriture-voix, théorie sur son corps, sexualité par bouts, mais son corps reste instable.
Damien fait part encore de son doute sur « cette méthode », car ressentir les choses lui est toujours difficile. Je lui dis alors :
« Je cherche aussi comment communiquer, discuter avec vous de cette différence entre la psychanalyse et vos intérêts pour la psychologie ».
Damien est d’accord pour continuer les séances, on discute beaucoup, cela lui convient. Pourrait-on dire alors que le nouage que Damien trouve dans ce travail est de l’ordre de ce qui ne cesse pas de se discuter ?
[1] Miller J.-A. « L’inconscient et le corps parlant », conférence prononcée par Jacques-Alain Miller en clôture du ixᵉ congrès de l’Association mondiale de psychanalyse (AMP), le 17 avril 2014 à Paris, présentant le thème de son xᵉ congrès qui s’est tenu en 2016 à Rio de Janeiro.
. Le programme et la liste des intervenants
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