SC. Colloque 2019 « Langues et Lalangue » par Alice Chaix

Dans le cadre du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse qui a eu lieu les 26 et 27 septembre à Aix-en-Provence, Alice Chaix, participante de la Section clinique d’Aix-Marseille, répond à l’invitation de l’Hebdo à écrire sur ce que lui inspire le thème du colloque: psychiatrie-psychanalyse, quel nouage au XXIème siècle?

Langues et Lalangue

Vivre à l’étranger, c’est faire l’expérience de mettre un pied ou deux au-dehors de son bain de langage. Il faut aller se mouiller, un peu ou beaucoup, dans une langue autre et être face à la barrière de la langue – bien que cela n’empêche pas que la barrière soit aussi à l’intérieur de la langue, comme le démontrent les malentendus, les mots qui échappent, etc.

C’est aussi un temps particulier où l’expression « langue maternelle » prend sens différemment. En la parlant moins, en la faisant taire un peu, il est alors peut-être possible de se rendre compte de son statut maternel. La langue maternelle est cette langue première, transmise, dans laquelle le sujet a grandi et a été parlé. Elle s’oppose par définition à la langue étrangère, même si la rencontre avec la langue maternelle pour l’infans est, au départ, étrangère car provenant de l’Autre, en tant que trésor des signifiants.

Si l’on peut partager une même langue maternelle, il est en revanche impossible de pouvoir affirmer la même chose concernant la lalangue, pourtant empreinte de la langue maternelle. Lacan introduit dans son dernier enseignement (1972) le néologisme « lalangue ». C’est « […] ce que nous pouvons isoler dans la langue de chacun [1] ». Elle revêt en effet un aspect privé de par sa constitution avec les premiers sons, phrases, gestes, etc. et leur tonalité, leur mélodie, leur particularité, que l’enfant recevra de son premier Autre. De fait, elle produit des effets sur le corps, des effets de jouissances en raison de notre état de sujets pris dans le langage. En somme, Lacan explique que lalangue, c’est la mère : « […] il n’y a qu’à voir un bébé, l’entendre, et que peu à peu il y a une personne, la mère, qui est exactement la même chose que lalangue, à part que c’est quelqu’un d’incarné, qui lui transmet lalangue [2]. » 

La langue maternelle des mères expatriées, de ce que mon expérience en Australie a pu en montrer, paraît alors prendre une valeur fondamentale, comme quelque chose à transmettre à tout prix. Les rencontres faites avec ces mères d’enfants bilingues montrent à quel point cette langue maternelle semble précieuse : « il faut que mon enfant parle ma langue d’origine », pouvaient-elles affirmer. Cette injonction conduisait certaines à faire la sourde oreille lorsque l’enfant s’exprimait dans la langue de l’Autre, du pays d’accueil comme si cela pouvait, à leurs yeux, faire courir le risque à l’enfant d’abandonner sa langue maternelle. Qu’est-ce qui, pour ces mères expatriées, celles en tout cas que j’ai rencontrées, les pousse à protéger ce qu’elles pensent pouvoir perdre ? Si une langue maternelle peut ne plus être parlée, peut-on en dire autant de sa lalangue ?

[1] Rouillon J.-P., « L’inconscient et lalangue », p. 10, extrait de : http://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2012/06/ROUILLON-J.-P.-18.pdf

[2] Conférence donnée au Centre culturel français le 30 mars 1974, parue dans l’ouvrage bilingue : « Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan, La Salamandra », 1978, p. 112

 

Le programme et la liste des intervenants



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