Dans le cadre du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse qui a eu lieu les 26 et 27 septembre à Aix-en-Provence, Sylvain Garciaz, médecin hématologue, docteur en sciences, participant à la Section clinique d’Aix-Marseille, s’exprime sur le thème du colloque « psychiatrie – psychanalyse, quel nouage au XXI siècle? »
Le vertige du chercheur
« Il semble que soit arrivé aussi pour les scientifiques le moment de l’angoisse. Dans leurs laboratoires aseptisés, revêtus de leurs blouses amidonnées, ces vieux enfants qui jouent avec des choses inconnues, […] commencent à se demander ce qui pourra survenir demain et ce que finiront par apporter ces recherches toujours nouvelles. [1] »
Cette phrase, extraite d’un entretien de Jacques Lacan avec Emilia Granzotto pour le journal Panorama (en italien) du vingt-deux octobre 1974 m’a inspiré quelques réflexions, nourries par mon expérience, au sein d’un grand laboratoire de biologie en Australie.
La recherche se fait sous transfert.
Affirmation qui peut paraître étonnante au vu de la soi-disant objectivité scientifique. Le mot anglais pour désigner cette relation au maître est « mentorship » qui s’associe à « leadership », le mentor et le chef. Souvent les plus jeunes se réfèrent à un homme, ou une femme pour motiver leur désir, mais le transfert peut aussi s’adresser à la revue scientifique à travers le « pair-reviewing », la critique par les pairs. Les revues prestigieuses : Nature, Science, sont une incarnation de l’Autre qui juge, adoube ou rejette. Leur sanction est parfois question de vie ou de mort : « Publish or perish ». En témoigne aussi la honte suprême suscitée par la rétractation d’une publication pour fraude ou tricherie.
La recherche poursuit une logique productiviste.
Afin de générer des résultats publiables, le nombre d’expérimentations effectuées dépasse de beaucoup celui des résultats effectivement retenus, selon le principe consistant à échouer mille fois pour réussir une. S’en suit une production considérable de déchets, qu’il s’agisse de déchets plastiques ou chimiques, de « consommables », ou de gâchis d’idée, proposées et abandonnées au sein de réunions de « brain-storming ». Aussi, les laboratoires les plus riches produisent le plus, publient le plus et obtiennent le plus grand nombre de financements. Ceci met en évidence l’affinité du discours scientifique et du discours capitaliste, comme l’avait repéré Lacan dans les années 1970.
La recherche scientifique pose des questions éthiques.
Qu’il s’agisse du bien-être de l’animal de laboratoire ou de celle des techniciens, la référence constante aux « bonnes pratiques » est manifeste par l’usage de chartes, valant pour tous. Le mot d’ordre, général, et asséné dès l’intégration au sein de l’entreprise est « positivité ». Les injonctions aux sourires et à la politesse dans les espaces communs prouvent ainsi que cela ne va pas de soi. Par ailleurs, la visée ultime de la recherche, même fondamentale, est l’amélioration de la prise en charge des patients : mieux diagnostiquer, prédire ou guérir. On n’arrête pas le progrès! Sous ce vernis positiviste, parfois pointe l’angoisse évoquée par Lacan, et dépliée par François Ansermet dans son article intitulé « Vertige biotechnologique[2] ». Les conséquences non calculées des analyses génétiques sont parfois vertigineuses et signent la rencontre avec un réel. Récemment, un chercheur présentait sa découverte de mutations génétiques survenues aux premiers jours de la vie in utero et associées à l’apparition de cancers bien des années plus tard. C’est à ce point de rencontre entre les technologies médicales et la vie dans ce qu’elle a de plus intimement liée à la sexualité, à la naissance et à la mort que le chercheur est pris de vertige.
[1] « Entretien de Jacques Lacan avec Emilia Granzotto », Panorama, Rome, le 21 novembre 1974 et en ligne : http://aejcpp.free.fr/lacan/1974-11-21.htm
[2] « Vertiges biotechnologiques, Entretien avec François Ansermet par Alejandra Varela ». Lacan Quotidien N° 841– Mercredi 29 mai 2019
Le programme et la liste des intervenants
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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