En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, Jean-Louis Morizot, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP, professeur de psychiatrie, enseignant à la Section clinique d’Aix-Marseille apporte sa contribution à l’Hebdo du Colloque* avec cette question: Psychanalyse et Psychiatrie : quel rapport en ce début du XXI° siècle, après Freud et Lacan ?
Aux origines, de par Freud[1], « neurologue », médecin formé à la rigoureuse clinique de son temps, celui du triomphe de la méthode anatomo-clinique, le lien fut celui d’une continuité. Freud date le temps où il a commencé à pratiquer ce qu’il appelle « psychanalyse » du moment où il a abandonné l’hypnose. Il demeura longtemps cette connexion étroite, de complémentarité, que Freud comparait au rapport de l’anatomie à l’histologie. C’en fut au point que Lacan[2], en 1967, a dû défendre l’entrée en analyse aux étudiants en psychiatrie qui n’étaient motivés que de vouloir comprendre leurs malades, tout en recommandant aux psychiatres de le rester et de pratiquer en tant que tels plutôt que de vouloir devenir psychanalystes pour faire carrière !
Depuis quelques dizaines d’années, essentiellement depuis l’apparition du DSM III, en 1980, les choses ont bien changé. Un tournant radical a été pris par la psychiatrie où s’est manifestée une volonté de la faire rentrer dans la science la plus rigoureusement objective en éliminant l’arbitraire de la subjectivité, celle du patient comme celle du praticien.
Près de 40 ans après cet événement, on peut dire que ce but de définir une taxonomie des symptômes, admise par tous, n’a pas été atteint. Aller chercher l’assentiment du plus grand nombre à ce qui serait désigné comme symptômes, a contraint la Task Force constructrice du DSM à tenir compte d’opinions de groupes communautaires minoritaires mais influents pour apparaître « politiquement corrects ».
L’a-théorisme revendiqué initialement s’est avéré reposer sur le parti pris d’un dysfonctionnement du corps, ouvrant à un abord médicamenteux exclusif de symptômes privés de toute dynamique psychique chez un patient sans qualité ni histoire de vie.
Maintenant le divorce est consommé et le désamour de beaucoup de psychiatres pour la psychanalyse est établi au nom d’une volonté de satisfaire à un idéal de l’époque, celui d’un scientisme qui ne jure que par l’objectivité (evidence based medicine) et récuse toute subjectivité au nom de l’arbitraire qui s’oppose à toute « fiabilité inter-juges ».
Dans ses premiers commentaires de cas, relatés dans ses Études sur l’hystérie [3], Freud qui de son propre aveu, était plus un chercheur qu’un soignant, s’étonnait que ses histoires de malades (Kranken Geschichten) se lisaient plus facilement comme des nouvelles littéraires qu’elles n’étaient frappées du sérieux ennuyeux qui caractérise ce qui se veut scientifique (Wissenschaftlichkeit) ! Il s’en consolait du fait qu’il observait que la nature de son objet lui apparaissait plus responsable de ce résultat que ses choix personnels de présentation. Il notait qu’une présentation approfondie des processus psychiques à l’œuvre, à la façon dont font les poètes, permettait d’obtenir une intelligence du cas en précisant la relation étroite entre l’histoire des souffrances et les symptômes de la maladie.
De telles histoires de malades devaient à la fois être considérées comme psychiatriques et comme montrant le lien personnel et singulier du malade à sa maladie, ce que ne font pas les observations psychiatriques qui ne poussent jamais aussi loin dans la vie privée du malade leurs investigations.
Si Freud s’est formé comme psychanalyste par ses études sur les hystériques, Lacan, fut, dans les services de neuro-psychiatrie, à l’école de la psychose. Il en vint très tôt à récuser la thèse du parallélisme entre les représentations des personnes et la réaction neuronale d’un circuit qui ruine toute idée d’une intentionnalité subjective, seul support éthique de la personne. Dans son débat avec Henri Ey, toujours actuel, il a soutenu l’idée d’une causalité psychique de la folie en ce qu’elle est consubstantielle au fait que les humains parlent et, de ce fait, entretiennent avec eux-mêmes des rapports intranquilles.
Lacan a, sa vie durant, entretenu un dialogue avec la psychiatrie française de son temps, à travers adresses et textes théoriques sur cette communauté de parlants dans la langue que sont malades, médecins et psychanalystes. Il a maintenu jusqu’au bout sa présentation de malade à l’hôpital Ste Anne à Paris.
Actuellement, si beaucoup de psychiatres se sont détournés de la psychanalyse, un nouveau mouvement se fait jour, chez les jeunes étudiants et futurs psychiatres.
C’est un mouvement de retour des étudiants qui manifestent un nouvel intérêt pour l’observation fidèle des dits des malades et un raisonnement psychopathologique, correctement orienté vers ce point d’énigme dans les énoncés du sujet qui parle – le génie de la narration, comme l’appelait Thomas Mann, le sujet de l’inconscient pour Freud.
[1] Freud, S ., « Psychanalyse et psychiatrie », Conférences d’introduction à la Psychanalyse, Paris, Gallimard, Collection Connaissance de l’Inconscient, 1999.
[2] Lacan J., « Petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne », 10 novembre 1967, inédit.
[3] Freud, S. Études sur l’hystérie, Cas Élisabeth Von R., Paris, PUF, 1956.
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