En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, Pierre Sidon est psychiatre, psychanalyste, directeur du CSAPA UDSM, membre de l’ECF et de l’AMP, animateur du réseau TyA du Champ freudien. Il répond aux questions de Delphine Tchilinguirian, participante à la Section clinique d’Aix-Marseille.
Que vous évoque ce thème du colloque : Nouage psychiatrie/psychanalyse, du point de vue de votre pratique ?
Lacan parle plutôt du devoir de « collaborer » à propos des travailleurs de la santé mentale. Collaborer, c’est moins délicat que nouer : ça ne fait pas dans la dentelle. Et en l’occurrence, avec quoi collabore-t-on, en psychiatrie, si ce n’est, comme le précise Lacan en plein mouvement antipsychiatrique, avec le Maître et à l’ordre public ? La psychiatrie, née d’un transfert de compétences de la justice à la médecine1, est une médecine qui soigne des maladies définies par leur dangerosité2 ! C’est une médecine du symptôme social, pris à partir du symptôme individuel et une médecine du symptôme individuel dès lors qu’il fait symptôme social. En tant que pratique essentiellement fondée sur la parole, c’est un résidu de l’« antique » et « sacrée » fonction du médecin qui s’est évaporée dans la médecine scientifisée3. Or, parmi les courants actuels de la psychiatrie, je renvoie, quant à moi, dos à dos, le courant majoritaire, scientiste, et certains de ses opposants dits humanistes qui n’ont à lui opposer qu’un rejet de la fonction de contrôle social de la discipline4. Or ils sont tous deux d’accord sur ce rejet de la définition native de la discipline, la psychiatrie scientifique faisant cyniquement fonds du rejet de ladite « stigmatisation » pour achever son œuvre de dissolution. Ces deux orientations, par l’universalisation qui les sous-tend, qu’elle soit scientifique ou politique, contribuent tout autant à des effets antipsychiatriques, les uns se croyant être les normaux, les autres s’identifiant au fou, discours de la science et discours hystérique contribuant tous deux in fine, à renforcer le discours du maître.
L’exercice contemporain de la psychiatrie ne saurait plus donc désormais reposer que sur la psychanalyse, seule à faire poids, par sa praxis de la singularité, face à un discours du maître aux effets chaque jour plus ségrégatifs.
En 1946, Jacques Lacan écrit « Propos sur la causalité psychique », un texte fondamental dans lequel il rend compte du déclin de la clinique psychiatrique. Il perçoit déjà le risque pour la psychiatrie de chercher la cause de la folie dans la neurologie. Aujourd’hui, les symptômes sont considérés comme des troubles à éliminer. L’observable et le quantifiable, prennent le pas sur la dimension subjective. Que faire selon vous pour préserver le trésor clinique ?
Ce sont des tableaux merveilleux, chatoyants comme les planches naturalistes qu’ils voisinent à l’ère inaugurée par Buffon. Et particulièrement au regard du « désert qui avance » : la pauvreté clinique à l’ère de la technique, qu’elle soit statistique avec feu le DSM, ou biologique dans l’espoir d’une néo-anatomopathologie5. Mais elles valent plus encore par la dispute théorique et taxinomique qui a fait l’arrière-plan intellectuel de leur émergence, là où, il faut bien le reconnaître aujourd’hui, l’électroencéphalogramme de la discipline fait redouter le pire. Mais il faudrait s’en servir à condition de savoir s’en passer, sans quoi nous tiendrions une position simplement passéiste, fétichisant un savoir qui n’a plus cours car la psychanalyse prolonge et dépasse le geste clinique qui n’était que la description de l’incarnation de catégories dans le particulier du cas.
Nous sommes à l’ère de la singularité pure et du sinthome, qui incluent l’acte de l’analyste. C’est une toute autre histoire.
Lacan énonce dans son « Petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne » que la psychanalyse est l’avenir de la psychiatrie. En quoi et comment la psychanalyse peut-elle servir la psychiatrie actuelle ?
Elle est indispensable. Sans elle, il n’y a plus de psychiatrie. Y aura-t-il encore des psychiatres ? Il en reste – et d’ailleurs beaucoup. Mais ceux qui ne sont pas orientés par la psychanalyse et en particulier lacanienne, peinent à comprendre une fonction dont les raisons semblent perdues dans la mémoire évanescente des siècles. Ça leur pèse affreusement. À la place, ils se rêvent psychothérapeutes – pour ne pas dire analystes – et contribuer au bonheur des masses. Et pendant ce temps-là se soulagent de leur fonction sur la justice, qui n’en peut mais.
La psychiatrie pourrait-elle n’avoir été qu’une réaction transitoire à l’universalisation de la science, une inflammation passagère produite par la résistance du discours du maître à l’invasion du discours scientifique ? La psychanalyse, elle, persistera : elle n’a pas le choix puisqu’elle est seule à pouvoir soutenir symptômes et sinthomes dans un lien social pulvérulent malgré l’universalisation de la science. La pratique qui s’en déduit devra constituer une forme nouvelle de collaboration avec le discours du maître. Elle ne passera probablement pas par le maintien des institutions de soin actuelles et empruntera vraisemblablement à la forme réticulaire émergente. Il s’agira de faire et d’expliquer cela qui est la condition vitale de survie de toute humanité.
1 Goldstein Jan, Consoler et classifier, l’essor de la psychiatrie française, Collection Les empêcheurs de penser en rond, Institut Synthélabo, 1997, traduit de l’anglais, Cambridge University Press 1987.
2 Lacan J., Je parle aux murs, Le Seuil, 2011, p. 106.
3 Lacan J., « Conférence et débat du Collège de Médecine à La Salpetrière », Cahiers du Collège de Médecine, 1966, pp. 761 à 774.
4 Lacan J., Je parle aux murs, op.cit., p. 14.
5 Voir les aveux d’un Thomas Insel tels que rapportés par exemple par cet article : Dobbs D., “The smartphone psychiatrist”, The Atlantic,https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2017/07/the-smartphone-psychiatrist/528726/
Le programme et la liste des intervenants
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