En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, Jean-Pierre Bardin, psychiatre de secteur au Centre hospitalier de Digne les Bains, chef de pôle de la psychiatrie générale publique dans les Alpes de Haute-Provence répond à Martine Revel, enseignante à l’Antenne clinique de Gap.
Que diriez-vous du titre du Colloque des 26 et 27 septembre à Marseille : « Psychiatrie-Psychanalyse : quel nouage aujourd’hui ? »
C’est un thème qui me parait très adapté par rapport à notre société actuelle car ce qui était quelque chose de presque évident à une époque, paraît maintenant presque incongru. Durant mes études et lorsque j’ai abordé la psychiatrie nous étions, de mémoire, à peu près 80 % à faire un travail personnel alors qu’actuellement, il n’y en a peut-être pas 5% et curieusement je me suis aperçu qu’en ce qui concerne les psychologues, c’est pareil. C’est-à-dire que la psychanalyse est non seulement ignorée mais est même devenue quelque chose de répulsif dans la mesure où elle a été tellement galvaudée et dénigrée dans les médias.
Qu’est-ce qui amènerait ce côté répulsif ?
Je crois que c’est l’idée de mettre en avant le sujet. Je pense justement que la relation humaine ne peut pas être quantifiée et réduite à un chiffrage ; ainsi cette absence de chiffre ne peut être tolérée actuellement. La psychiatrie est un miroir grossissant de la société : on ne veut plus savoir ce qu’est un sujet. De nos jours, on ne cherche pas, quand on reçoit quelqu’un, à savoir ce qui se passe pour lui, pourquoi il présente tel symptôme. La psychiatrie est devenue une branche de la médecine à part entière, en tant que la médecine a versé entièrement du côté scientifique (ce n’est plus un art), c’est-à-dire qu’on tente d’abraser le symptôme sans chercher à en analyser la raison d’être : pour tel problème, telle solution.
Vous percevez cela au niveau des psychiatres mais au niveau des équipes, des infirmiers, comment ça se passe ?
C’est exactement la même chose et même encore pire, je trouve, car dans les universités on présente aux psychiatres beaucoup de panels de techniques mais c’est peut-être différent selon les universités. Les infirmiers, au niveau des IFSI (Institut de Formation des Soins Infirmiers) n’ont plus guère de contact avec les pathologies, c’est-à-dire que dans les stages – déjà ce sont des stages très réduits au niveau de la psychiatrie – ce qui est mis en évidence c’est une technicité pratique mais pas du tout un développement au sens de la relation. Je le vois au niveau des équipes actuelles – ce qui est tout de même favorisé par une architecture particulière ici au niveau des pavillons – certains infirmiers peuvent éviter la rencontre avec les patients malgré leur bonne volonté. Ils sont enfermés dans leur bureau en train de taper sur leur ordinateur ou de préparer un traitement, ou bien même, s’ils ont un patient avec eux, ils mettent une table entre eux et lui ; crainte de la différence ?
Vous diriez qu’ils en ont peur ?
Je pense oui. Il y a un fantasme qui court au niveau de la dangerosité des patients qui arrivent en psychiatrie. Premier réflexe : un patient qui est agité, qui a des troubles du comportement – ça c’est très à la mode – on l’exclut, on le met en isolement. Avec une certaine peur de lui. Après, ça peut s’entendre…
Oui maintenant, il y a de plus en plus de gens dans la violence, dans le délire…
Oui mais le délire tout de même c’est ce avec quoi on travaille ! Et ce qu’on entend c’est : « celui-là il délire trop ». C’est quelque chose ! La façon de penser est maintenant différente. Quant aux ASH (Aides-Soignantes Hospitalières) qui sont celles qui sont le plus au contact des patients, il n’y a plus un service où elles participent aux réunions cliniques. Je crois qu’il n’y a plus de clinique du sujet. C’est tellement en contradiction avec la psychiatrie actuelle.
Et vous alors dans votre pratique, comment faites-vous?
Je fuis. Oui, c’est une manière de dire mais c’est vrai. Par exemple, au niveau d’un service, je suis carrément parti parce que je n’en pouvais plus des réunions cliniques : à part la cadre qui parlait et avec qui j’étais en conflit permanent, il y avait le silence de toute l’équipe, ou plutôt on peut dire qu’il n’y avait pas d’équipe. Je suis parti car c’était impossible, en tout cas moi je me sentais dans l’impuissance complète de pouvoir modifier quelque chose. J’ai essayé de mettre en place ce que j’ai appelé un collège des psychiatres qui avait lieu tous les lundis et où chacun, à notre tour nous présentions un cas clinique. Nous sommes 13 psychiatres. Nous nous sommes retrouvés à trois !
Alors comment voyez-vous l’avenir de la psychiatrie ?
Pff… la psychiatrie… Cet avenir je le vois comme un enfermement ou une exclusion. La psychiatrie se résume à des troubles du comportement. Quand ils ne seront pas gênants, les patients psychotiques dans notre société actuelle se retrouveront dans leur coin, ils sédimenteront gentiment, ils mourront dans le même coin. Ce qui est mis en avant c’est surtout la psychiatrie permettant de maintenir une société sans trop de dérangement, donc un enfermement. C’est ce qui est dans les projets avec une pression de l’ARS (Agence régionale de la Santé), de la préfecture : ils vont fermer les services qui ont toujours été ouverts. Fermer, ça veut dire fermer les services à clés. Ils appellent ça maintenant les « entrées régulées » ! Ce sera une psychiatrie poubelle de la société et plus du tout un cadre de soins. Mais qu’est-ce que ça veut encore dire, le soin ? Le soin dans le sens de la rencontre avec l’autre, qui est d’être avec.
C’est une vue très pessimiste !
Il y a beaucoup d’endroits où il y a des gens qui réfléchissent, qui tentent des choses mais c’est une frange très faible par rapport à une époque et en tout cas la mayonnaise ne prend pas pour soulever un désir de soin. On voit bien qu’il y a près de quinze ans qu’il n’y a rien qui prend. Il y a une exclusion de la psychanalyse, avec l’idée – répandue au niveau des médias – que c’est quelque chose de mortifère. Au niveau de l’autisme par exemple, il a carrément été dit que c’était une contre-indication. De même qu’il peut y avoir une contre-indication à tel ou tel médicament parce que ça entraîne des dégâts : c’est pareil.
Vous avez toujours été dans un courant de psychothérapie institutionnelle.
Mais c’est tellement à la marge ! Je ne pense pas qu’au niveau de l’enseignement, les jeunes psychiatres sachent ce que c’est. Ils n’en ont jamais entendu parler. La psychanalyse, ils en entendent parler par l’intermédiaire des médias, mais la psychothérapie institutionnelle, ils ne savent pas du tout. Actuellement, le psychiatre se raconte qu’il a un savoir et qu’avec le traitement médicamenteux qu’il va donner au patient, il va le guérir. Ma conception a toujours été que c’est par l’institution qu’un sujet peut s’épanouir. C’est cette formation en psychothérapie institutionnelle qui m’a permis de rencontrer l’autre. Ce fut mon orientation. D’où mon dépit de voir cette institution ainsi bafouée. J’arrive à m’y retrouver un peu dans les petits CMP de la région où je vais régulièrement. Là, se constitue peu ou prou une équipe et nous pouvons travailler. C’est ce qui me tient actuellement.
Je vous remercie beaucoup d’avoir bien voulu répondre à mes questions.
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Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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