En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, Francesca Biagi-Chai est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP. Psychiatre, ex praticien hospitalier au CHS Paul Guiraud Villejuif, elle est enseignante à la Section clinique de Paris-Saint Denis.Un ouvrage à paraître chez Imago traitera précisément du thème psychiatrie – psychanalyse, autour d’une innovation institutionnelle : un lieu crée au sein de l’hôpital : hospitalisation de jour intra muros. Elle répond ici aux questions de Patrick Roux, enseignant à la Section clinique d’Aix-Marseille.
Que vous évoque ce thème du colloque : Nouage psychiatrie/psychanalyse, du point de vue de votre pratique ?
Ce thème est aujourd’hui plus que jamais d’un intérêt majeur. Nous en traitons dans un ouvrage à paraître sous peu aux éditions Imago, ouvrage dont le fil conducteur est : la psychanalyse est l’avenir de la psychiatrie.
Il me semble que Freud avait fait la remarque suivante, à savoir que l’analyste ne quitte pas sa fonction comme on laisserait ses lunettes sur son bureau après avoir fini sa lecture. De même chez Lacan, le désir de l’analyste est le résultat d’une expérience, sa propre analyse. À la fin de celle-ci, il est sensé au moins avoir quitté des positions de principe et pouvoir opérer à partir du réel et de la jouissance sur lesquels sa cure lui a permis d’en savoir un bout. C’est d’ailleurs grâce à ce réel que le désir de l’analyste n’est pas un désir pur articulé à une quelconque maîtrise. Il m’apparaît dès lors impossible de considérer les liens entre psychiatrie et psychanalyse comme un nouage entre deux pratiques séparées. Leur objet est le même, l’être parlant. Que la psychiatrie soit une spécificité sociale du fait de la rupture langagière et du hors discours qui parfois l’accompagne, est un fait. Le discours de l’analyste ne peut que l’éclairer et l’aborder par la voie du réel. Qu’est-ce qui tenait avant le déclenchement et sa rupture ? Quelle conjoncture a présidé à l’effondrement ? Quel remaniement de jouissance peut être attendu en prenant comme fil conducteur les signifiants du sujet ? Que le sujet ait eu ou pas à en passer par une institution, qu’il ait eu ou pas à prendre un traitement médicamenteux, ces recours demeurent subordonnés au discours en tant que le transfert le soutient.
Aujourd’hui, les symptômes sont souvent considérés comme des troubles à éliminer. L’observable et le quantifiable, prennent le pas sur la dimension subjective. Que faire selon vous pour préserver le trésor clinique ?
Résister, savoir et faire savoir. Ici encore, peut-être convient-il de ne pas cantonner la clinique à la pure pathologie, ce qu’elle n’est pas. Elle est clinique du fait même que le dialogue analytique avec le patient la fait clinique. Comment mener un dialogue et comment en faire entendre le réel, le réel de l’énonciation, à travers la restitution qui en est faite dans ce qu’on appelle la construction de cas ? C’est ce qui est fait aujourd’hui, toujours et encore, et c’est ce qui fait la richesse de notre École. C’est ce qui fait aussi la valeur inaliénable de cette pratique initiée par Lacan de la présentation de malades, où les personnes qui, au titre de leur formation, y assistent, peuvent entendre les suspensions, les silences, les sidérations, tout comme le poids de signification et de jouissance qui s’attache au néologisme et le détache de la chaîne signifiante. Pour que cela ait une chance d’être perçu, une chance aussi pour le patient, rappelons ce qu’est la position de celui qui interroge, l’analyste, celle de savoir poser les bonnes questions. Il y a une pratique du dialogue à soutenir en tant que, comme dit Lacan, « un sujet est psychanalyste – non pas savant rempardé derrière des catégories, au milieu desquelles il essaie de se débrouiller pour faire des tiroirs dans lesquels il aura à ranger les symptômes qu’il enregistre de son patient, psychotique, névrotique ou autre – mais pour autant qu’il entre dans le jeu signifiant et c’est en quoi un examen clinique, une présentation de malade, ne peut absolument pas être la même au temps de la psychanalyse ou au temps qui précède. » (Lacan J., « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse », Séance du 5 mai 1965).
Mais la clinique ne s’arrête pas aux portes de l’hôpital ou de l’institution, elle court dans la société. Le symptôme et son réel sont par essence inéliminables. Ce qui est rejeté de notre société par l’usage de la comptabilité reparaît nécessairement à travers l’artiste, chez tout créateur, mais aussi dans ce ratage du symptôme sublimé qu’est le passage à l’acte. Autrement dit, le rejet du symptôme au profit du rationnel est voué à l’échec.
La clinique, disait Lacan, « c’est le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter ». Un petit commentaire en lien avec votre fonction d’enseignante et « à l’usage » des praticiens de terrain?
Nous venons de parler, au-delà de la question des présentations, des modalités du dialogue dans un service classique de psychiatrie. L’enseignement ne s’y découpe pas en fractions. Savoir qu’il y a du réel, l’identifier comme tel dans le hors sens qui le caractérise, est à proprement parler quelque chose qui soulage. La récupération de savoir qui se fait au cours de discussions cliniques, participe à ce soulagement. Souvent, les soignants s’emploient à éduquer le patient, à le contraindre, plus ou moins légèrement, sous la forme dite du cadre qu’on leur demande d’imposer, tandis qu’ils aspirent à un savoir d’un autre ordre. Quel soignant n’a pas été sensible à des argumentations que nous avons pu soulever concernant parfois un excès de boisson, un tabagisme exagéré, lorsque nous leur faisions remarquer que, s’il s’agit en effet de diminuer chez un sujet une jouissance déréglée, s’agit-il pour autant de le rendre plus normal que l’ensemble de la population ? Il y a une exigence paradoxale à vouloir que par le traitement, le fou soit plus normal que tout un chacun. Le soin ne peut passer par des injonctions de pratiques, propres à un surmoi social qui se prend pour l’Autre, mais par la prise en compte de la logique du sujet et de ses conséquences dans le réel et la jouissance.
Le programme et la liste des intervenants
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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