Frédérique Delava est médecin psychiatre. Elle exerce en pédopsychiatrie au centre Corto Maltèse à Gap où elle a été Chef de service. Elle a accepté de répondre aux questions de Bruno Miani, enseignant à l’Antenne clinique de Gap.
À partir de votre pratique de psychiatre en pédopsychiatrie, que vous évoque le thème de ce Colloque : Nouage de la psychiatrie et de la psychanalyse ?
Je n’ai jamais voulu être médecin. Mais quand j’avais neuf-dix ans, j’ai vu une fiction théâtrale sur Charcot et Freud qui faisaient une présentation de malade à la Salpêtrière. Comment ai-je appris qu’il allait y avoir ça, ce soir-là ? Pourquoi l’ai-je vu ? Je ne savais pas que ça pouvait m’intéresser mais ce fut une révélation qui m’a guidée toute ma vie comme l’étoile du Berger (rires).
Puisque Freud était médecin, j’ai fait médecine sans jamais avoir voulu être médecin. Ça a été un guide, mais en même temps je ne suis pas psychanalyste et je ne le serai pas. Mais ça a rendu ça plus facile pour moi.
Donc un premier nouage dont vous allez vous soutenir toute votre vie.
Oui ça vient de là, à neuf-dix ans, je voulais réfléchir sur l’au-delà de ce que je voyais, je voulais savoir ce qu’il y avait derrière les symptômes, même si je ne me le disais pas ainsi bien sûr, à l’époque. C’était une révélation, je ne sais pas dire autrement parce que je n’ai pas le concept pour ça.
C’est donc là que vous situez ce nouage de la psychiatrie et de la psychanalyse ?
Après ça a continué à m’éclairer. J’ai fait médecine sans vouloir être psychiatre, parce que dans les services de psychiatrie que je fréquentais, ce n‘était pas habité par la question psychanalytique.
C’est quoi la question psychanalytique ?
La question de l’inconscient évidemment ; l’idée de chercher plus loin que le bout de son nez. Le passager clandestin. C’était nécessaire. Là où je travaillais, c’était seulement pragmatique dans la région Lilloise. On ne se posait pas de question sur la psychopathologie, ça me fatiguait. En médecine, le seul examen que j’ai dû repasser, c’est la psychiatrie parce qu’il fallait répondre sans réfléchir et je n’ai pas voulu apprendre par cœur les cases. J’avais répondu ce qui m’intéressait, fruit de ma réflexion personnelle, et ça n‘a pas marché, bien sûr. Je l’ai repassé en septembre sans problème. On ne me demandait pas de réfléchir, moi je voulais penser la clinique.
On pourrait passer à votre pratique : comment ça se vérifie ce nouage en pédopsychiatrie ?
Après j’ai choisi… de faire de la route, j’ai choisi des services traversés par la question de la psychanalyse. À Lens, il y avait le service de Marc Vincent dans le seul CMPP public en France. J’ai fait la route avec lui. Enfin on réfléchissait ! J’étais satisfaite, il y avait beaucoup de vacataires qui étaient psychologues, psychanalystes…
Il y a eu plusieurs courants qui ont traversé la psychiatrie et qui en font l’histoire — psychothérapie institutionnelle, sectorisation, psychanalyse — vous, il semblerait que vous ayez abordé la psychiatrie par la suite ?
Non, je l’avais déjà abordée bien plus tôt comme je vous l’ai dit.
Oui, mais à partir de votre pratique de psychiatre : c’est un moment où il y a un tournant de la psychiatrie qui est moins nouée à la psychanalyse à cette époque autour de la personne de Jacques Lacan. Beaucoup de psychiatres et de chefs de service suivaient l’enseignement de Lacan ou étaient directement en cure avec lui, ce qui produisait un effet sur l’orientation qu’ils pouvaient donner à leurs services et à leur pratique de psychiatre. Or, ce nouage s’est distendu au profit de l’objectivité scientifique. Ça ramène à ma deuxième question : la psychiatrie classique reposait sur le champ de l’observation et du regard qui s’est rétréci au fur et à mesure qu’on ne voulait voir que ce qu’on pouvait quantifier, chiffrer, calculer.
Dans ma pratique, on faisait encore référence à l’observation et donc au rapport à l’Autre, ne serait-ce que par le regard, ce qui s’est amoindri par la suite.
Qu’en pensez-vous à partir de votre expérience de pédopsychiatre qui a choisi d’introduire dans sa pratique des éléments de la psychanalyse ? Est-ce votre constat que ce rapport à l’Autre dans la clinique pouvait ne pas tenir et la psychanalyse était-elle le moyen de le préserver ou de le restaurer éventuellement ?
Quand je vous écoute, il y a quelque chose… Ce nouage n’est pas un enfermement, je ne sais pas comment dire… ? Depuis l’enfance, j’étais traversée par la question de l’inconscient, mais surtout par la nécessité d’un espace tiers où l’on va laisser résonner des choses. Ça n’exclut pas qu’il puisse y avoir d’autres approches. L’important, c’est de penser que ça ne vient pas faire obstacle à la question de l’inconscient. Un travail thérapeutique avec un enfant, ça peut faire l’objet de diverses approches ; il n’y a pas forcément, d’emblée, de psychothérapie psychanalytique avec un enfant. Des éléments divers peuvent aider à ce que ça se dénoue et s’ouvrir sur un espace de réflexion qui permette aux parents ou à l’enfant d’aborder éventuellement une psychothérapie.
Je ne pense plus comme jadis à Lens, à l’impératif de la psychothérapie, et ça ne veut pas dire que ça se délite, mais que ça s’ouvre. Mais j’ai des nuances à apporter sur la psychanalyse : quand on travaille avec des enfants, il y aussi leur famille, leurs parents, et ils sont sujets dépendants de leurs parents. Les entretiens familiaux, on est obligé de se coltiner ça…
Vous avez assoupli votre pratique, c’est ça ?
Oui je fais surtout des consultations thérapeutiques maintenant, deux à trois par mois parfois, c’est très espacé, mais il y a la question de la rencontre intersubjective. De toutes façons, je m’ennuie s’il n’y a pas ça (rires).
Donc on en revient à la clinique, si vous parlez de rencontre.
Oui, mais c’est fatiguant…
Justement, Lacan en 1977 dans une discussion avec des psychiatres, avait donné une définition étonnante de la clinique : la clinique commence avec l’angoisse qui signale un réel en tant qu’il est impossible à supporter pour le clinicien.
Moi, j’ai dit c’est fatigant.
Oui, ça pourrait être une forme minimale d’angoisse comme l’embarras, par exemple…
Mais en même temps, si ça n’a pas lieu, je m’ennuie.
Exactement…
Mais moi, je suis très contente une fois tous les six mois quand il se ne passe rien, ça me repose. Je suis alors en temps de repos.
Donc, ça semble renvoyer a contrario, à la définition que donne Lacan de la clinique ? Dans ces moments où vous êtes détendue, c’est l’opposé de l’impossible à supporter.
Ces moments sont rares, mais ça fait du bien de se reposer parce que je trouve que c’est très fatigant. Moi, je suis très fatiguée ces derniers temps par les incohérences que l’on peut rencontrer dans les services parfois. Mais c’est fatigant aussi de se coltiner la clinique.
Dans la rencontre clinique, il peut y avoir quelque chose de réel et donc de pas facile à supporter : que le soignant ne soit pas toujours celui qui sait, qu’il puisse être embarrassé ; que l’angoisse ne soit pas forcément un indice négatif, mais le signal de la rencontre d’une singularité à laquelle aucun savoir ne peut répondre. Qu’en pensez-vous ?
Moi je n’arrive pas à mettre le mot angoisse là-dessus, je mets le mot fatigue.
Cela pourrait prendre l’apparence de la fatigue, qui peut être l’indicatif d’une rencontre… ? La plupart du temps quand on ne supporte pas, on rejette, mais il peut y en avoir aussi ceux qui constatent qu’ils ne supportent pas et qui ne rejettent pas pour autant… ?
Tout à fait, même si je comprends mal cette phrase, l’impossible à supporter, ça vient résonner en soi-même. Pour moi, c’est plutôt la surprise de ce qui venant de l’Autre, peut venir réveiller en moi, ce que je méconnais. Ça m’enseigne comme dans la clinique avec les enfants. Et c’est magique même si, comme le réel, ça n’a pas de sens.
Je vous remercie de vos réponses.
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Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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