Jérôme Lecaux est psychiatre et psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP, enseignant à la section clinique à Lyon, directeur du CPCT de Lyon. Il répond aux questions de Patrick Roux, enseignant à la section clinique d’Aix-Marseille.
Que vous évoque ce thème du colloque : nouage psychiatrie/psychanalyse, du point de vue de votre pratique ?
Votre question comporte déjà une affirmation : que les rapports entre psychiatrie et psychanalyse se fassent sous forme d’un nouage. Effectivement ce sont des entités hétérogènes, il est tentant de le concevoir ainsi. Mais dans mon expérience personnelle la psychanalyse a plutôt infiltré, englobé la psychiatrie. Par exemple, il m’arrive encore de prescrire des médicaments, mais la façon dont je procède ne relève plus tellement du discours médical. Il y a quelque temps une patiente mélancolique me disait que le fait d’augmenter son traitement antidépresseur (ce que nous avions fait d’un commun accord au vu de son état) lui donnait l’impression d’être encore plus malade, et donc que « plus elle prend de médicaments, plus elle est malade ». Ce qu’elle me dit (et le contexte) me conduisent logiquement à réduire son traitement. « Comme vous avez diminué le traitement, je me suis dit que j’allais mieux », et effectivement elle est allée mieux. C’est un exemple amusant, il s’agit pas d’en faire une recette. Ce qui m’oriente est donc la logique particulière du parlêtre, à partir de son dire (et du contexte), et pas la logique des « bonnes pratiques » médicales ou des protocoles. Cependant, il convient de bien connaître l’usage des médicaments et de procéder avec discernement. La prescription médicamenteuse est devenue pour moi un cas particulier de psychanalyse appliquée. Je pratique la psychanalyse « appliquée » ou « pure », selon le cas, et au besoin je fais le psychiatre quand cela me semble utile, c’est un usage des semblants, et j’utilise les outils que j’ai à ma disposition. Il fut un temps où je voulais abandonner la psychiatrie pour ne plus faire que de la psychanalyse, j’opposais les deux, j’étais orienté par l’idéal. Ce n’est plus ma position aujourd’hui. En un sens j’ai abandonné la psychiatrie, … mais d’une bonne façon.
Aujourd’hui, les symptômes sont souvent considérés comme des troubles à éliminer. L’observable et le quantifiable, prennent le pas sur la dimension subjective. Que faire selon vous pour préserver le trésor clinique ?
Logiquement, dans le fil de ma réponse précédente, je ne considère pas que le symptôme se réduise à être un trouble à éliminer. Ce qui importe c’est de cerner la fonction psychique qu’un symptôme peut avoir : à quoi sert-il ? Quand le travail avance il arrive que des symptômes disparaissent ou s’allègent car ils sont devenus inutiles ou moins indispensables. Il s’agit de prendre en compte l’économie psychique dans son ensemble. Vous demandez que faire pour « préserver le trésor clinique ». Se battre, bien que nécessaire parfois, peut être contreproductif. La psychanalyse, il vaut mieux la pratiquer. Les meilleurs arguments sont les effets qu’elle produit. Il faut bien choisir l’emploi de sa libido : où est-elle la plus efficace ? Et n’oublions pas la mise en garde de Lacan : il arrive aux analystes eux-mêmes de faire obstacle au discours analytique.
La clinique disait Lacan est « le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter ». Un petit commentaire en lien avec votre formation de psychiatre et à l’usage des psychiatres de terrain ?
L’impossible à supporter, dans la pratique nous le rencontrons sans cesse. C’est notre propre analyse qui nous permet de supporter ce qui avant ne l’était pas. Une cure, ça rend plus fort, tout en préservant la sensibilité. L’impossible à supporter c’est la jouissance. Ce qui se constitue dans une cure peut par exemple se nommer désir, c’est-à-dire une construction supportant une tension qui ne se satisfait pas. C’est un traitement de la jouissance. L’effet d’une cure c’est un apaisement dans la relation à une insatisfaction ou une déception fondamentale. C’est une solidité qui rend la vie plus simple et plus agréable, et qui permet, quand on est moins accaparé par sa propre jouissance, de donner appui à quelques autres… En ce qui concerne ma fonction d’enseignant, ou des conseils à l’usage des praticiens : je n’ai pas à en donner. Je poursuis ma route et cela produit des effets…
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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