SC. Colloque 2019. « Clinique et autisme », par Jean-Claude Maleval

Jean-Claude Maleval est psychanalyste, membre de l’ECF et le de l’AMP, professeur émérite de psychologie clinique à l’université de Rennes 2, enseignant à la Section clinique de Rennes. En préparation du Colloque Psychiatrie- Psychanalyse des 26-27 septembre, il répond à l ‘invitation de Dominique Pasco, enseignante à la section clinique d’Aix-Marseille, et nous propose ce texte intitulé « clinique et autisme ».

Il est commun aux approches dites scientifiques de dévaloriser la parole de sujet, l’homme neuronal ne serait transparent qu’aux instruments de mesure, il ne saurait rien de lui-même ; c’est pourquoi « Écouter les autistes » prôné par la psychanalyse possède une portée dérangeante pour l’approche moderne de l’humain. Quand la connaissance ne connaît que le chiffre, le scanner, l’IRM et la génétique, la parole devient une scorie à éliminer. Cependant les autistes cherchent maintenant à se faire entendre. Que disent-ils ? Ils affirment la différence de leur fonctionnement subjectif. Ils ne demandent pas à être guéris de leur autisme, mais de leur éventuel mal-être. Ils veulent être considérés dans leur singularité. C’est pourquoi beaucoup récusent les approches qui reposent sur la seule expertise des soignants, de sorte qu’elles se désintéressent de leur savoir sur eux-mêmes. Une des autistes de haut niveau parmi les plus connues, Donna Williams, n’hésite pas, à l’égard du traitement de l’autisme, à s’engager fortement : « La meilleure approche, écrit-elle, [serait] celle qui ne sacrifierait pas l’individualité et la liberté de l’enfant à l’idée que se font de la respectabilité et de leurs propres valeurs les parents, les professeurs comme leurs conseillers. [1] » Une autre confirme : « Les personnes qui m’ont le plus aidée ont toujours été les plus créatives et les moins attachées aux conventions. [2] » Un troisième, Jean-Marc Vilanova, renchérit : il n’y a « qu’une seule thérapie qui vaille, qui est innée, la seule qui fonctionne, c’est la nôtre [3] ». Entendons celle que chaque autiste invente, à la mesure de ses possibilités, quand il est placé dans des conditions favorables. 

Toutes les pratiques psychanalytiques ont en commun de prôner le respect du singulier et sa non-résorption dans l’universel. C’est ce que souhaitent unanimement les autistes qui s’expriment. Ce n’est pas aux études randomisées permettant une évaluation scientifique impeccable qu’il convient de demander en premier lieu comment y faire pour traiter l’autisme, mais aux sujets concernés, car ce sont eux qui ont le plus à nous apprendre. Ils possèdent un savoir précieux sur eux-mêmes.

Il n’y a pas que les psychanalystes pour avoir saisi que la meilleure aide qui puisse être apportée au sujet autiste n’est pas celle des techniciens du psychisme, mais celle d’éducateurs ou de thérapeutes capables d’effacer leurs a priori pour faire place aux inventions de l’autre. À cet égard, la thérapie par le jeu, d’inspiration rogérienne, effectuée par Virginia Axline avec Dibs, peut être donnée en exemple. Elle n’aborda pas la cure en sachant d’avance le parcours qu’aurait dû effectuer son patient. Bien au contraire, elle s’efforça de ne rien lui dire qui eût pu indiquer un désir de sa part de le voir faire quelque chose de particulier. Elle se contenta de communiquer avec lui, en n’essayant pas de pénétrer de force dans son monde intérieur, mais en cherchant à comprendre la spécificité de son système de références. « Je voulais, écrit-elle, que ce fût lui le guide. Je voulais simplement le suivre. » Elle avait pour souci qu’il n’ait pas le sentiment d’avoir l’obligation de lire dans les pensées de sa thérapeute pour s’orienter dans la cure. Elle ne voulait pas lui proposer une solution déjà préalablement conçue pour lui et avait l’audace de penser que tout « changement significatif » devait venir du sujet lui-même[4]. L’application de cette méthode la conduisit à l’une des réussites les plus éclatantes en matière de thérapie d’un sujet autiste.

La cure de Louange[5] présente de nombreux points communs avec celle de Dibs : toutes deux sont centrées sur des objets et dirigées par des thérapeutes qui veulent que l’enfant « soit le guide ». Dans l’une comme l’autre, le transfert n’est pas analysé, le matériel n’est pas interprété, et pourtant la cure de Louange ne se réduit pas à une thérapie par le jeu. Il s’agit d’une authentique cure psychanalytique, car l’analyste ne se borne pas à se laisser guider par l’enfant, il fait plus que cela : il intervient pour tempérer et canaliser la jouissance en excès, et il pratique un doux forçage pour instiller à dose homéopathique du changement dans l’immuable. Le travail de C. Bouyssou-Gaucher apporte une éclatante démonstration d’un nécessaire appui majeur sur le bord pour conduire la cure analytique d’un autiste. Sa fonction protectrice, régulatrice et médiatrice s’affirme et permet au sujet de se construire quand on favorise le déploiement de ses trois incarnations : l’objet autistique, le double et l’intérêt spécifique[6].

La force probante du travail de Bettelheim, d’Axline, des Lefort, de Bouyssou-Gaucher, et de tant d’autres cliniciens attachés à une approche psychodynamique de l’autisme ne tient pas aux chiffres mais aux évolutions cliniques qu’ils relatent. « Ceux qui ont aidé à l’éclosion d’une personnalité, à la libération d’une intelligence gelée, à l’apparition de relations humaines, de sentiments positifs, de joie de vivre alors qu’il n’y avait aucune personnalité, aucune apparence d’intelligence, rien qu’un isolement méfiant ou désespéré, une angoisse panique et une violence homicide, ceux-là sont plus convaincus de l’efficacité des méthodes thérapeutiques […] qu’ils ne le seraient par des études statistiques. [7] » Même si ce constat de Bettelheim n’est pas aujourd’hui partagé, il est au principe de la résistance des cliniciens sur le terrain, constaté et déploré, par les autorités sanitaires, plan autisme après plan autisme.

[1] Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, Robert Laffont.,J’ai Lu, 1992, p. 290.

[2] Grandin T., Penser en images, [1995] O. Jacob, Paris, 1997, p. 114.

[3] Villanova J-M.  « Intervention au Foro Internacional sobra autismo », Barcelone, 7 Avril 2018.

[4] Axline V. Dibs, Développement de la personnalité grâce à la thérapie par le jeu [1964], Flammarion, 1967,  p. 47.

[5] Bouyssou-Gaucher C., Louange, l’enfant du placard. Psychothérapie analytique d’un enfant autiste, Penta Editions., 2019

[6] Maleval J.-C., L’autiste et sa voix, Seuil, 2009.

[7] Bettelheim B., Evadés de la vie. Quatre thérapies d’enfants affectivement perturbés, Fleurus,  Paris,  1986, p. 29.

 

 

 



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