Jean-Luc Monnier, psychanalyste à Rennes, membre de l’ECF, de la NLS et de l’AMP, enseignant et membre du bureau de coordination de la Section clinique de Rennes répond aux questions de Dominique Pasco, enseignante à la Section clinique d’Aix-Marseille.
Que vous évoque ce thème du colloque : nouage psychiatrie/psychanalyse?
C’est un thème fort bienvenu à une époque où la psychiatrie se dissout dans les neurosciences, le cognitivisme et le comportementalisme et tourne résolument le dos à la clinique, celle qui se « déploie auprès du lit du malade ». Cela veut dire que la psychiatrie, à travers l’exercice de ses praticiens, n’écoute plus le patient. Certains pensent que les avancées de la science autorisent cette impasse sur la parole qui embrouille tout, mobilise du temps et de l’argent : puisque la folie est affaire de neurones, c’est aux neurones qu’il s’agit de « s’adresser ». C’est raisonnable, pragmatique et moderne mais… tragique. En effet, ce qui se présente comme un renouveau thérapeutique, entraîne un égarement généralisé et ruine les fondements de l’éthique, c’est-à-dire la prise en compte de la parole singulière de chacun. Passage à l’acte, agitation, agression deviennent le lot commun de l’institution psychiatrique qui répond alors par la contention, l’isolement du patient et la promotion des formations « d’identification et de gestion de la violence »
Faire le choix de « la clinique comme boussole » quelles conséquences et ressorts cela a pour vous, au niveau de la praxis et peut-être à d’autres ?
C’est faire le choix exactement inverse de ce que je décris dans la réponse précédente. La clinique comme boussole, cela veut dire d’abord mettre la parole aux commandes. Mais pas n’importe quelle parole, une parole au creux de laquelle un dire est à entendre. Avoir la clinique comme boussole, c’est avoir le réel comme boussole, puisque le dire, comme le réel relève de l’impossible et « ek-siste » au dit. Choisir la clinique comme boussole, c’est aussi faire le choix de l’éthique, c’est-à-dire permettre à celui qui se risque à vous parler de traiter avec cette part de lui-même qui lui est la plus étrangère quel que soit l’endroit où il la loge
Quelles citation et/ou référence concernant la clinique souhaitez-vous transmettre en préparation du colloque ? Avec votre commentaire c’est encore mieux.
«…car un clinicien, ça se sépare de ce que ça voit pour deviner les points-clés et se mettre à pianoter dans l’affaire. C’est pas du tout bien sûr pour diminuer la portée de ce savoir-faire. On n’y perd rien. À une seule condition, c’est de savoir que vous, ce qu’il y a de plus vrai dans vous, fait partie de ce clavier. Et que naturellement, comme on ne touche pas avec le bout de son doigt ce qu’on est soi-même, quand on est justement, comme on le dit, sur la touche, quand on est la touche soi-même, que vous soyez bien certain qu’il manque toujours quelque chose à votre clavier et que c’est à ça que vous avez affaire. C’est parce qu’il manque toujours quelque chose à votre clavier que l’analysant, vous ne le trompez pas, parce que c’est justement dans ce qui vous manque qu’il va pouvoir faire basculer ce qui, à lui, lui masque le sien. C’est vous qui lui servirez de dépotoir. »[1] En 1955 déjà, dans son Séminaire, Les psychoses, Lacan soulignait que « La comparaison qu’on peut faire du psychanalyste avec un dépotoir est justifiée, en effet, il faut qu’il « encaisse » au cours des journées des propos, des discours assurément de valeur douteuse. [2] » En 1955, Lacan n’avait pas isolé la catégorie du clinicien tel qu’il le fait en 1970. Il n’avait pas non plus l’objet a, dont « la saloperie » sera plus tard un des autres noms, mais on voit bien que déjà le discours charrie en son creux, quelque chose du déchet et que c’est cela que le psychanalyste encaisse et qui le spécifie comme tel. Jacques-Alain Miller reprendra dans son cours intitulé « Le lieu et le lien », du 15 novembre 2000, la proposition de Jacques Lacan et la précisera en avançant que l’analyste-dépotoir est « une espèce de lieu fondamental ». Il accentue le fossé entre le clinicien et son savoir-faire, et l’analyste, qui contrairement à lui n’est pas un technicien dont on attend qu’il ait la maîtrise du dispositif qu’il manœuvre, mais un « espace » que l’analysant constitue comme tel, où il rencontrera par la grâce du transfert et la construction du fantasme, la saloperie qui le fonde comme sujet [3].
[1] Lacan J., « Discours de clôture au Congrès de Strasbourg », 13 octobre 1968, Lettres de l’École freudienne, 1970, n° 7, p. 157-166.
[2] Lacan J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981 , leçon du 30 novembre 1955.
[3] Lacan J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, leçon du 17 juin 1964, p. 306.
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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