Par Lisiane Gérard – Cette soirée en cartel Psychanalyse et Ecriture s’est tenue à Gap le 23 mai 2018.
C’est en présence de l’auteur de Le petit bois qu’aimait Gérard et de Ce que parler veut dire que les cartellisants ont présenté leurs lectures de ces livres dans un dialogue incessant. Les deux livres sont tout à fait différents, l’un est un texte de conférence, l’autre, le dernier, parle des années d’enfance de l’auteur pendant la guerre.
La guerre pour l’enfant qu’était Gérard Arséguel était une sorte de fête : l’autorité était absente, les trains n’arrivaient pas, «c’était l’image du paradis» avant la débâcle financière du père et le début de l’école qui le terrorisait. Elsa Lamberty remarque que l’écriture de Le petit bois qu’aimait Gérard est une écriture du Il y a, au plus près du corps de l’enfant, là où Ce que peut parler veut dire n’est plus vraiment dans la signification, dans une histoire : il y a peu d’arrêt de la phrase par exemple, il s’agit d’épuiser le sens un peu comme quand parler à un analyste épuise le sens. Claude Van Quynh a senti que celui qui écrivait Ce que parler veut dire s’était laissé emporter par la sonorité des mots. Gérard Arséguel souligne que son projet, c’est de retenir le sens le plus longtemps possible, de le rejeter, l’objectif étant d’étirer la phrase, qu’elle ne s’arrête pas. Ce qui lui plait par dessus tout, c’est la structure de la phrase latine très complexe. La phrase latine comporte une apparente obscurité, avec le verbe à la fin, il y a des propositions adjacentes, des proliférations. Pour lui, «le sens, c’est facile», il faut «lutter contre le sens», c’est un «refus de finir». Il avoue son impression d’être un peu un imposteur, «un peu moins maintenant», «j’ai l’impression de n’avoir rien à dire». Gérard Arséguel différencie parole et écriture : quand il parle, il réfléchit, fait des pauses. Sa question, c’est «comment peut-on écrire sans rien dire ?!», à l’image de ces femmes qui, dans son enfance, ne cessaient de parler de tout, de rien.
Claudine Boiteux et Claude Van Quynh se posent la question de la fonction de l’écriture pour cet écrivain. Claudine lui demande si la phrase de la mère «Tu dors, Gérard ?» ne viendrait pas recouvrir quelque chose, le protéger de quelque chose. Gérard Arséguel confirme qu’il y a un enjeu dans cette phrase, «je me suis senti abandonné», lui qui a répondu à la question maternelle par un « Oui, maman ». Jacques Ruff souligne l’équivoque logique de cette phrase ; «Tu dors, Gérard ?». On n’est pas censé s’adresser à quelqu’un qui dort. On est sidéré par cette phrase. On est endormi, on se réveille, mais il y a aussi l’endormissement et le bord de l’endormissement.
Claude Van Quynh relève trois fonctions de l’écriture : une écriture qui est là pour essayer de border un trou, une béance, comme pour Marguerite Duras, une écriture pour donner une consistance à quelque chose, qui pointe quelque chose qui ne va pas, et une écriture qui soutient.
Gérard Arséguel se définit comme «un poète dans l’écriture». Il observe que «la poésie n’a rien à voir avec la littérature mais avec la traversée du corps, la respiration, le souffle». «L’écriture, pour moi, a à voir avec ça, avec le retour, revenir, la répétition.» Il ajoute que c’est «aller vers ce qui précède la langue, l’écriture, et qui n’est pas nécessairement le silence, le non-dit». La poésie est dans un mouvement de verticalité, c’est une «manifestation du langage contre le langage», «quelque chose de la pensée, du corps» ; d’ailleurs, quand il parle de poésie, il parle plus fort et son corps se redresse.
Claude Van Quynh fait le parallèle avec l’insupportable dans la cité par rapport à la psychanalyse : être confronté au bout du bout, et se dire «je ne suis que ça». Gérard Arséguel lui répond que «la possibilité d’arracher au corps la pensée, ça allège».
Jacques Ruff est sensible à la question de la voix, le changement de voix de la mère, un moment de vacillement ce en quoi Gérard Arséguel témoigne en effet de son trouble face à l’instabilité de la voix humaine, face à cette « frontière vraie-fausse ». Il y a aussi les voix méchantes ; la manière dont le père l’interpelle et cette sensation d’être bouffé par un dragon, bouffé par ces femmes qui l’entourent et pour y échapper, Gérard enfant entre dans une… librairie.
Trois petits points introduisent le livre Le petit bois qu’aimait Gérard. Le titre est en fait une phrase entendue par quelqu’un dans un rêve alors qu’il est mort. Claude Van Quynh soumet l’hypothèse suivante : cette phrase entendue ; « Le petit bois qu’aimait Gérard », est le signe d’une ouverture à une autre vie. Gérard Arséguel dit qu’«il s’agit d’arracher quelque chose à la mort, si c’est possible » et précise que « cette conversation avec les morts, je l’ai souvent». Il évoque ce bouquet de violettes retrouvé intact quand on a ouvert le tombeau du pharaon Toutankhamon.
L. G.
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