ACF MAP. GAP – Psychanalyse & Ecriture : « Qu’est-ce que lire ? »

Par Françoise Mary – La soirée en cartel Psychanalyse et Ecriture s’est tenue à Gap le 11 avril 2018 (lire ici le retour sur la soirée du 14 mars). 

Claudine Boiteux à partir du roman de Virginia Woolf Les Vagues publié en 1931, pose la question de l’inconscient et son rapport à l’écriture comme mode d’expression. « L’écriture peut-elle comme la parole traiter quelque chose de l’inconscient ? ». Pour Virginia Woolf écrire ce qu’elle ressent lui donne une force par rapport à la dépression, c’est une solution. Dans le même temps l’écriture est une torture, il y a cette sensation de liberté et paradoxalement l’impression de se laisser submerger par le flux des mots. Ces deux faces de l’écriture divisent Virginia Woolf, prise par les demandes de son entourage et principalement de son mari éditeur (écriture cadrée), elle veut qu’on la libère de ces contraintes d’écriture, pour se laisser aller à écrire ses pensées. Comme le flux de la vague, le bruit de la vague qu’elle entendait enfant, son écriture alors la submerge, jusqu’au sentiment de sombrer dans la folie.Quelque chose revient, qui s’était inscrit en elle.

Claude Van Quynh à partir du livre de Stefan Zweig Le monde d’hier paru en 1942, évoque en quoi sa lecture a eu un écho avec l’époque que nous vivons, et précisément avec l’élection du Viktor Orban en Hongrie. Ce livre est une autobiographique rédigée sans source documentaire, à partir des souvenirs. Il est un témoignage d’une époque qui a connu la montée du nazisme, l’auteur a cherché à faire saisir quelque chose de l’humain, ce qui lui a demandé de faire apparaitre certains aspects cachés de sa vie. C’est aussi une vision sur l’état du monde à partir des gens rencontrés d’horizons divers, Rilke, Freud… Lire Stefan Zweig, c’est chercher un savoir caché que l’auteur a su mettre en évidence, a su rendre visible par l’écriture. C’est une réflexion humaniste avec une illusion d’une Europe qui civilise sur fond d’une question « qu’est ce qu’être juif ?» avec l’idée de la valorisation, de la protection de l’art pour penser l’être humain. L’écriture lui permettait de faire tenir une brèche, elle colmate et répare cette brèche. Cette brèche apparait quand il parle de l’effondrement de la langue allemande : à partir de ce moment là, il ne pourra plus écrire.Comme Virginia Woolf, il se suicide.

Elsa Lamberty à partir de la présentation du cas d’une jeune femme qu’elle reçoit met en avant le travail d’écriture, de « lettres » déposées dans un sac. Au départ cette femme hurlait, s’arrachait les cheveux, dans une indifférenciation d’elle et de l’autre, elle se définissait comme déchet « un sac vide pourri qui pue la mort ». Lors des premières rencontres, c’est un flux permanent de questions qui l’agitent, « pourquoi…pourquoi », une réponse de l’analyste y met fin « c’est comme ça ». L’effet d’apaisement est sensible, une demande surgit, elle va demander à l’analyste d’écrire à sa place sur une feuille. Dans ce qu’elle va nommer « lettres » sont écrits son prénom, son nom, son âge … « je suis Mme.., j’ai tel âge… », mais aussi « je suis une femme vivante »…Elle dépose les lettres dans un sac qu’elle porte contre elle. Vient le miroir, elle ressort ses lettres du sac, se regarde dans le miroir, relit et jubile « avec la lecture, c’est moins faux ». Si pour elle le langage est faux, parce qu’il ne vient jamais dire ce qu’elle est, « le sac vide », la lecture plus que l’écriture vient lui donner un corps plus consistant, le sac de lettres qui apparait à l’extérieur et rempli de ce qui pourrait dire son être. On peut parler d’externaliser l’intime.

Jacques Ruff à partir de la question du point de départ de l’écriture y répond qu’elle se fait avec « compter » avec l’usage des petits calculis enfermés dans une bulle-enveloppe qui les contient et les soustrait au regard. Sur cette enveloppe un signe inscrit va rendre visible l’invisible, « ce qu’il y a » à l’intérieur, qui est de l’ordre de la comptabilité, de la numération. Les Mayas contrairement aux Incas ont accédé à l’écriture parce qu’ils se sont servis de cette comptabilité. L’écriture s’inscrit sur l’équivoque compter-conter, deux registres : ce qu’il y a (comptabilité, numération) et ce qu’il n’y a pas (la fiction). L’écriture-signe pour chacun d’entre nous serait une bulle-enveloppe qui compte ce dont on jouit, pour dire « ça, c’est ce que j’ai ». Ce qui amène la question du corps, « avoir un corps » signifie qu’il puisse y avoir pour un sujet une écriture qui compte.

F. M.



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