Dans la famille Schreber… la mère

Par S. Perazzi – S’il est un personnage peu connu dans la célèbre famille Schreber, c’est bien la mère du Président. La lettre en rimes qui lui est adressée par Daniel Paul Schreber en 1905 nous éclaire sur la vie de cette femme du XIXe siècle, beaucoup moins effacée qu’il n’y paraissait.

Si divers auteurs ont présenté la famille du Président Schreber, l’attention s’est en général portée sur son père. Moritz Schreber est en effet célèbre dans toute l’Allemagne pour ses jardins pour enfants et son traité de Gymnastique médicale de chambre.

Daniel Paul Schreber en 1905, l'année du texte rimé à sa mère.

Daniel Paul Schreber en 1905, l’année du texte rimé à sa mère.

Madame Schreber, Pauline Haase de son nom de jeune fille, n’en est pas moins d’une très grande importance dans la vie de Daniel Paul. Nous n’en voulons pour preuve que cet étonnant texte composé pour les quatre-vingt dix ans de sa mère, le 29 juin 1905[1]. Le Président y commente, en rimes, la vie de Madame Schreber mère par l’intermédiaire des lieux successifs où elle a vécu.

« Nous t’avons dédié un livre
Des anciens lieux aimés et du bon vieux temps…
En le feuilletant, tu verras maintes choses
Qui te rappelleront le bonheur et les peines passées. »

Nous parcourons ainsi les années, de 1815 à 1905, et les lieux, de Leipzig à Dresde, avec comme support un album de photos. Nous y découvrons l’importance de la famille de Pauline Schreber, dont le père était recteur de l’université, le grand-père professeur de médecine, et la famille maternelle propriétaire de grands domaines.

Pauline est née dans une maison où Gœthe a séjourné comme étudiant. Le mythe familial veut qu’elle soit la seule à s’être souvenue de l’emplacement exact de la chambre et à l’avoir indiqué à l’association des amis de Gœthe, ces derniers voulant apposer une plaque en souvenir du passage de l’écrivain à Leipzig. De cette histoire familiale, Daniel Paul gardera sans doute l’idée que c’est par les femmes que se transmet le prestige.

La rencontre de Pauline Haase avec Moritz Schreber est décrite comme la bonne rencontre : les prétendants sont éconduits « jusqu’à ce que vienne le bon » et :

« Quand celui-ci, un jeune docteur, parla d’amour,
Quand il rassembla son courage pour faire sa demande,
Bien sûr, on ne réfléchit pas longtemps.[2] »

Par contre, voici comment Daniel Paul décrit sa venue au monde :

« Un garçon et une fille étaient nés,
Quand la cigogne eut l’audace de revenir
Avant même qu’on ait bien pu y songer,
Et je suis moi-même apparu en effet,
Qui à présent commets ces vers pour toi,
A peine digne, il est vrai, de mériter tes félicitations,
Un coquin qui donne plus que ce dont il est capable.[3] »

La vie apporte alors son lot de bonheurs et de malheurs : la mort du père, alors que le futur Président avait dix-neuf ans, le suicide du frère aîné, Gustav, le mariage de la fille aînée, Anna, avec Carl Jung, le mariage de Daniel Paul avec Sabine Behr, auprès de qui il finira ses jours.

Il décrit sa mère à quatre-vingt dix ans « l’esprit vif et paisible », entourée de toute sa famille qui espère la voir devenir centenaire. Elle décèdera à quatre-vingt douze ans, 46 ans après son mari, non sans avoir aidé son fils, une fois sorti de l’hôpital, à construire sa nouvelle maison.

Nous sommes donc bien loin de l’image véhiculée par certains commentateurs. Parmi eux Franz Baumeyer, qui remarque « l’effacement de l’image de sa mère » dont « la vie presqu’entière s’est passée sous l’influence du personnage tout-puissant du père[4]. »

Sylvette Perazzi

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[1] Schreber D. P., Rimes à sa mère, Ornicar ? revue du Champ freudien, janvier 1984, n° 28, p. 19-35.

[2] Ibid. p. 23.

[3] Ibid. p. 26.

[4] Baumeyer F., « Le cas Schreber », Le cas Schreber, Contributions psychanalytiques de langue anglaise, PUF, 1979 p. 196.



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