Par P. Falicon – Pour Schreber, la mort du sujet ne suit pas le déclenchement de sa psychose, ne lui est pas immédiatement concomitante, mais se situe plutôt à l’orée de sa tentative de guérison.

The House of Death, The Lazar House, William Blake.
« J’ai souvenir qu’aux environs de la mi-mars 1894, alors que les rapports avec les forces surnaturelles s’étaient établis assez solidement, un journal me tomba sous les yeux, où l’on pouvait lire quelque chose comme l’annonce de ma propre mort : je tins cet épisode comme un avertissement je ne devais plus désormais faire retour dans la société humaine[1]. » Lacan, dans son Séminaire III, Les psychoses, élabore en logique la phénoménologie de la mort du sujet inhérente au registre imaginaire comme effet de la forclusion dans le symbolique d’un signifiant primordial : le Nom-du-Père.
Mort du sujet, une tentative de reconstruction
Pour Schreber, la mort du sujet ne suit pas le déclenchement de sa psychose, ne lui est pas immédiatement concomitante, mais se situe plutôt à l’orée de sa tentative de guérison. Elle lui est annoncée en effet dans la période comprise entre les dernières visites de sa femme (mi-février 1894) et la fin de son séjour à la clinique de Flechsig (mi-juin 1894) et lui vient de l’Autre : « C’est du moins l’événement que les voix, toujours renseignées aux bonnes sources et toujours égales à elles-mêmes dans leur service d’information, lui firent connaître après coup avec sa date et le nom du journal dans lequel il était passé à la rubrique nécrologique[2]. » Elle se produit bien après le déclenchement, avec une expérience de fin du monde dans l’appartement de sa mère et l’idée délirante qui s’impose à lui d’être une femme. Auparavant, Schreber essayait des « formules conjuratoires » pour ouvrir au statut symbolique du corps comme cadavre : « Je suis le premier cadavre lépreux et je mène un cadavre lépreux[3]. » La mort dans sa dimension de réel, de chair, le laissait sans répit.
Régression au stade topique du miroir, mort dans sa dimension de réel
Lacan, évoquant le texte de Freud parle d’une « description très brillante […] d’une identité réduite à la confrontation à son double psychique, […] qui rend patente la régression du sujet, non pas génétique mais topique, au stade du miroir, pour autant que la relation à l’autre spéculaire s’y réduit à son tranchant mortel[4] ».
Le temps où le sujet est confronté à la béance mortelle du stade du miroir – un mort-vivant – est aussi pour Schreber celui où « son corps n’était qu’un agrégat de colonies de nerfs étrangers, une sorte de dépotoir pour des fragments détachés des identités de ses persécuteurs[5] ». Ses voix lui signifient qu’il n’est que « charogne » et « pourriture » et ordonnent une passivité absolue vécue comme une « obligation religieuse » : « Les rayons exigeaient de moi une immobilité́ totale (“pas le moindre mouvement”, telle était la consigne maintes fois ressassée). » Cette exigence tient au fait que Dieu ne peut s’approcher des hommes vivants – il ne peut avoir affaire qu’à des cadavres. « De là vint cette exigence absolument monstrueuse que je devais me comporter comme un cadavre[6]. » Sa cadavérisation, de l’ordre du symbolique, devient elle-même une solution : la nouvelle de sa mort dans le journal ouvre la tentative de reconstruction par le délire.
Pierre Falicon
Lire les autres articles Spécial Schreber
[1] Schreber, Daniel Paul, Mémoires d’un névropathe, Seuil, Points essais, 1975, p. 109.
[2] Lacan, Jacques, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Ecrits, Seuil, 1966, p. 567.
[3] Schreber, Daniel Paul, Mémoires d’un névropathe, op. cit., p. 120
[4] Lacan, Jacques, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Ecrits, op.cit., p. 568.
[5] Ibid.
[6] Schreber, Daniel Paul, Mémoires d’un névropathe, op. cit., p. 171.
Catégories :Concepts & Clinique
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.