« Aller à la rencontre de l’autre »

Hélène Gibert dirige un institut de formation en travail social en région PACA. Pour le blog SC, elle s’exprime à titre personnel sur sa rencontre avec la souffrance psychique dans le cadre de son expérience professionnelle.

Gibert-OmbresLe Blog SC : Pouvez-vous préciser vos responsabilités ?

Hélène Gibert : Ce sont des fonctions classiques de direction : le management, les ressources humaines, l’élaboration et le suivi du budget, le dialogue avec les représentants du personnel et les partenaires extérieurs.

Y a-t-il une particularité attachée à un établissement de formation ?

H. G. : Notre objet est la formation ; à ce titre, je suis porteuse des agréments pédagogiques et je dois m’assurer de la bonne mise en œuvre des programmes au regard des textes réglementaires.

Nous parlons avec les responsables des grands établissements à propos de la souffrance psychique. Comment cela se perçoit-il ou se travaille-t-il dans votre champ ?

H. G. : Je distingue la souffrance et la souffrance au travail. J’ai découvert cela dans mes différents postes. Il y a des profils psychologiques particuliers qui se révèlent dans le rapport à l’autorité qu’on incarne en tant que directeur… Quand on a une oreille formée, on entend des choses qui s’adressent à un autre qui n’est pas nous en tant que personne mais à ce que nous représentons.
On sent des souffrances… Les plus grandes que j’ai pu entendre en tant que responsable sont celles que j’appellerais les déficits narcissiques. La reconnaissance est nécessaire au travail mais parfois on ne peut y répondre tant la demande de reconnaissance est béante. Les gens les plus en difficulté souffrent d’un manque qui se présente comme un puits sans fond ; on n’arrive pas à y répondre, d’où la plainte, le sentiment d’injustice…

Qu’entendez-vous par oreille formée ?

H. G. : C’est-à-dire que l’on détecte des attentes en fonction de sa sensibilité. L’écoute est importante, ce ne sont pas les cours de management qui aident ; c’est plus l’expérience de la relation dans notre secteur du social qui aide.

Comment se présentent les déficits narcissiques ?

H. G. : Ce sont des gens qui se mettent souvent en avant, qui occupent la place et/ou qui sont dans une plainte particulière et pour autant, on sent un manque certain d’assurance malgré leurs indéniables capacités. Chez les étudiants on entend aussi de la souffrance. J’ai connu des cas de suicides ou de décompensation psychique. On constate une fragilité grandissante, une complexité des problématiques. C’est un mélange de précarité et d’instabilité psychologique. J’ai constaté aussi souvent un manque de cadre ou une difficulté à gérer la frustration.
Ou bien ce qu’ils découvrent pendant leur stage fait miroir. Ça peut être une histoire de vie qu’ils reçoivent en pleine figure, qui les bouleverse car ils n’y avaient pas encore pensé. Certains décompensent, d’autres arrêtent ou suspendent leur cursus, avant – ce qui est préférable car on peut alors les accompagne. Ils ne sont pas toujours « débarrassés » de leur histoire familiale qui résonne trop fort.

Certains viennent-ils se plaindre à vous ?

H. G. : Oui, mais c’est souvent trop tard, malgré nos conseils de venir nous rencontrer pour demander de l’aide. C’est à nous de détecter la faiblesse au-delà de la carapace. Voilà quelque chose qui a changé ; la génération précédente était plus portée à « aller vers ». Maintenant nous les sentons plus verrouillés. Nous sommes obligés de faire craquer le vernis pour qu’ils puissent laisser passer plus d’humanité et aller à la rencontre de l’autre.

Il y aurait une évolution chez les postulants au travail social ?

H. G. : Mon sentiment est très empirique et le passé nous semble toujours meilleur, il faut se méfier de cela – mais je crois qu’avant, il y avait quelque chose de plus porté vers le collectif. L’expression était collective ou transgressive. Maintenant on constate d’avantage de la fuite, de l’absence, et du repli…

Un certain individualisme qu’on repère ailleurs ?

H. G. : Les étudiants – ou les salariés – ne s’orientent pas par hasard vers le travail social, et ce, quelles que soient les fonctions. Je me souviens de la remarque d’un comptable : « Je travaille ici car le travail social m’intéresse. » La moitié de nos étudiants éducateurs vient plus chercher un éducateur que de devenir éducateur… Je me souviens en particulier d’un étudiant qui a déclenché une paranoïa. J’ai même été obligée de déposer une main courante. Il y a des problèmes avec ces étudiants « limites ». Ils sont parfois très brillants intellectuellement et fonctionnent bien avec les faux-semblants mais, arrivés en stage, les choses sonnent faux. Lorsqu’on recoupe les éléments, on s’aperçoit que c’est fragile. Cela devient compliqué car à quel titre pouvons-nous dire, sans risque de discrimination, :  « Ce n’est pas pour vous cette fonction. » On essaye de faire entendre qu’ils ne sont pas à leur place dans ce métier ; un métier exige d’être au minimum au clair avec soi-même. C’est difficile de faire barrage. J’ai vraiment touché du doigt ce qu’était la paranoïa. J’ai eu peur. Il me suivait à pied ou en voiture. Il était persuadé que j’étais amoureuse de lui. Il croyait que je faisais tout, exprès pour lui ! Tous mes gestes lui faisaient signe ; j’étais totalement prise dans son système.

Comment suggérer une réorientation ?

H. G. : Cela se fait souvent tout seul… À un moment se produit un passage à l’acte qui les amène à se dévoiler. Cela objecte à une volonté souvent très affirmée de faire ce métier.

Pensez-vous à un cas particulier de souffrance psychique ?

H. G. : Avec les personnels, on y arrive ; je n’ai jamais rencontré de situation de grande souffrance psychique. La personne s’arrête de travailler. Chez les étudiants, cela se voit plus souvent. Je me souviens d’un étudiant qui était entré en hôpital de jour mais notre école était son repère. Il y venait tous les jours. Je devais l’aider à en repartir en douceur alors que je ne suis pas outillée pour cela.

Propos recueillis par Patrick Roux

 



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