Cancérologie : vous avez dit médecine « personnalisée » ?

Par S. Garciaz – La médecine personnalisée en cancérologie traite le patient en fonction des spécificités génétiques de sa tumeur. Où se situe le sujet que la médecine moderne tend à faire disparaître ? Derrière un écran, forclos, il n’a cependant pas dit son dernier mot…

From bed to bench. L’expression résume bien ce qu’est un hôpital moderne où l’on traite le cancer. Dans son lit, le patient attend le sommeil, le soulagement, le passage des soignants et souvent la sortie. À l’autre bout, les chercheurs s’activent sur les paillasses décontaminées. Entre ces deux mondes que tout oppose : la cellule, sortie du corps, isolée, fragmentée, analysée par le médecin moderne.

Algorithme décisionnel

Le cancer est perçu comme un ensemble de cellules déréglées génétiquement plutôt qu’une tumeur développée au dépend d’un organe (vision anatomopathologique). La question posée par les nouveaux essais cliniques est la suivante : a-t-on intérêt à cibler l’anomalie génétique cellulaire commune aux différents cancers plutôt que ce qui en est la conséquence palpable ?

Sans titre1Les traitements administrés ne sont pas des chimiothérapies mais des molécules ciblées, souvent administrées par voie orale. Un traitement « à la carte », décidé en se basant sur la cartographie de la cellule tumorale. La décision médicale tend à devenir le produit d’un algorithme décisionnel calculé informatiquement, dans lequel les données génomiques ont un impact majeur et qui délivre une vérité donnée en termes statistiques : pour telle anomalie génomique, en fonction de votre âge, vous avez tant de pourcentage de chance de rechuter dans les 10 ans.

Consentement vs parole

La science est « une idéologie de suppression du sujet[1] », souligne Lacan en 1970. De fait, « la science ne s’encombre pas de la vérité – autre que formelle ; la vérité est une catégorie propre au sujet », indique Pierre Skriabine dans son article « La science, le sujet et la psychanalyse »[2].

En effet, c’est en excluant le sujet que le fonctionnement du réseau cellulaire (ou du cerveau… cela se décline) surgit. Le chercheur voit à travers des écrans qui apparaissent au moment où le sujet disparaît. L’attrait pour l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) fonctionnelle en témoigne aussi dans le champ de la psychiatrie. Le médecin s’efforce d’obtenir le consentement du sujet et non pas sa parole.

Comme le remarque le Pr Jean-Claude Ameisen : « Comment faire ré-émerger la personne derrière cette approche médicale qui paradoxalement en fait une identité absolument abstraite, un point dans un nuage de points ? Faut-il repenser le rôle de la médecine en faisant du médecin un médiateur, un interlocuteur parmi tous les spécialistes qui recueillent et interprètent les données ? […] Au fond, la véritable singularité de la personne, son histoire, ses espoirs, ses craintes, apparaissent comme une gêne, une interférence avec un processus qui justement a essayé d’établir un profil-type par rapport aux groupes où on l’a rangé [3]. »

La psychanalyse, c’est la réponse à la science fondée sur le constat que si la science vise à forclore le sujet, il n’y a cependant pas de science sans sujet : elle échoue à éliminer ce sujet, « elle s’avère définie par la non-issue de l’effort pour le suturer[4] ».

 Sylvain Garciaz

[1] Lacan, Jacques, « Radiophonie », Silicet , n° 2-3, Le Seuil, 1970, p. 89.

[2] Disponible sur le site de l’ECF : www.causefreudienne.net/etudier/essential/la-science-le-sujet-et-la-psychanalyse-pierre-skriabine-membre-de-l-ecole-de-la-cause-freudienne.html

[3] Rapport d’office parlementaire : Les progrès de la génétique, vers une médecine de précision ? Les enjeux scientifiques, technologiques, sociaux et éthiques de la médecine personnalisée. Disponible sur le site internet du Sénat:  www.senat.fr/rap/r13-306/r13-3069.html

[4] Lacan, Jacques, « La science et la vérité », Ecrits, Seuil, 1966, p. 861.



Catégories :Sciences & Techniques