« La folie est compliquée à repérer »

Pour le Blog SC, des acteurs de l’action sociale, médico-sociale ou éducative témoignent de leur rencontre avec la folie au quotidien de leur pratique professionnelle. Ici, Michèle Nieto, conseillère technique sociale à la Direction des Territoires et de l’Action Sociale du Conseil général des Bouches-du-Rhône.

Le blog SC. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos fonctions ?

Michèle Nieto. « La Direction des Territoires et de l’Action Sociale (DITAS) est une des cinq directions de la Direction Générale Adjointe de la Solidarité (DGAS), qui est plus simplement le pôle social du Conseil général. C’est la DGAS qui met en œuvre les politiques publiques sociales sur les territoires. »

« Je suis l’interface, pour le champ social, des Maisons Départementales de la Solidarité (MDS) et de l’ensemble des directions du Conseil Général. Ma mission est de faciliter la transversalité pour la mise en œuvre territoriale des actions sociales. Je participe entre autre, en lien avec la DRH, à la formation continue des travailleurs sociaux qui exercent dans les MDS. »

Comment la rencontre avec la folie a-t-elle lieu dans ce champ?

M. N. Les Maisons de la solidarité reçoivent tous les publics. Sans généraliser, il y a une certaine forme de défiance du personnel avec les publics qui relèvent de la psychiatrie. Ils peuvent créer du désordre. C’est donc un public qui fait peur. On ne sait pas comment l’appréhender. Les personnels d’accueil et les travailleurs sociaux ne se sentent pas suffisamment préparés (posture, formation) à l’accueil et à la prise en charge de ce public-là.

Un souvenir de rencontre de la folie dans une situation professionnelle ?

Tanya St-Pierre, A Mystery Unfolding, (vidéo).

M. N. « La folie est un grand fourre-tout et la repérer est compliqué. Jeune professionnelle, j’accompagnais à la parentalité une maman dépressive qui avait une petite fille de cinq ans. Je la voyais régulièrement. Je m’étais rendu compte de l’état de cette maman. Je sentais intuitivement les choses et la sentais suicidaire. Je repérais qu’il y avait quelque chose du côté de la structure de cette personne qui ne fonctionnait pas. Je me sentais seule et démunie dans cet accompagnement et j’avais alerté le CMPP d’ Aix où je travaillais et sur lequel cette maman refusait d’être orientée. Je rencontrais régulièrement la psychologue du CMPP pour faire un point sur cette situation. Un jour, je l’ai alertée sur un danger imminent de dégradation que je sentais et proposais au CMP d’aller la voir. Je n’ai pas été entendue et cette maman a fait une tentative de suicide dans le week-end. Cela a été pour moi quelque chose de douloureux. J’ai mal vécu son passage à l’acte. »

« J’ai un autre souvenir de jeune professionnelle et dans ce cas, je me suis sentie défaillante. Le psychiatre et la psychologue d’une structure de psychiatrie de l’enfant m’ont contactée car ils souhaitaient travailler à la reconstruction du lien d’un enfant autiste avec sa maman. Celle-ci habitant sur mon secteur, l’équipe m’a sollicitée pour mettre en place cet accompagnement. J’avais rencontré cette mère une seule fois et je l’avais trouvée démunie sur le plan intellectuel. Bien que partante pour ce travail, je me sentais insuffisamment préparée et accompagnée par l’équipe qui étais, je pense, aussi désemparée que moi. J’ai eu le sentiment qu’on me livrait « un paquet ». »

« J’ai rencontré la maman, quelqu’un qui n’élaborait pas du tout, qui ne parlait pas. On racontait qu’avant le placement de l’enfant, elle donnait à manger à son enfant dans la main, comme à un petit chien. Ce sont vraiment des situations extrêmes. Pour tout vous dire, cela n’a pas marché. C’est quelque chose que j’ai gardé en moi comme une blessure professionnelle. Cela m’a été très pénible mais cela m’a fait cheminer et réfléchir sur l’approche de ces publics et surtout sur l’accompagnement qu’on pouvait proposer. »

Propos recueillis par Renée Adjiman.

 



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