Avec « Moment de crise », Patrick Roux, consultant au CPCT Marseille, livre une vignette clinique élaborée dans le cadre du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse tenu en septembre 2019.
Cette vignette s’inscrit dans un ensemble de cas livrés, sauf un, par les consultants au CPCT Marseille-Aubagne, qui témoignent de l’orientation psychanalytique des traitements au CPCT, dispositif gratuit, limité dans le temps et dans lequel les consultants sont bénévoles. Ces cas cliniques sont totalement anonymes et construits en logique. Ils rendent compte des effets obtenus et du travail de recherche conduit dans ce dispositif. Ils témoignent aussi de la façon dont les problématiques contemporaines sont abordées au CPCT où les pathologies sont pensées à l’aune de la subjectivité des patients.
« La subjectivité est essentiellement temporelle [1] », rappelle J.-A. Miller. Nous manions cette dimension temporelle dans la clinique du CPCT [2], plus particulièrement dans les consultations préalables. Dans un temps court, il s’agit de produire une première élaboration de ce qui est en crise.
C’est l’opération que nous avons tentée avec Maëlle bien que les symptômes qu’elle amène soient assez lourds. Elle a quasiment perdu le sommeil et un arsenal obsessionnel lui complique la vie. En quittant son studio, il faut qu’elle touche trois fois la porte. Elle part, puis revient et réitère. Les rituels ne suffisent pourtant pas à juguler l’angoisse qui survient par « accès d’hyperventilation » où elle frôle l’évanouissement.
Un sentiment de contrainte s’étend sur l’ensemble de sa vie. À vingt- quatre ans, elle a tout sacrifié pour réussir ses études. Elle s’est « enfermée et désocialisée » — elle évite toute rencontre pour se concentrer sur son objectif : « devenir manager ». Dès qu’elle arrête de réviser, l’angoisse revient. Cela évoque le moment du « penser à rien chez Schreber », d’où surgit un point de réel.
Elle s’oblige à regarder ses chiens jusqu’à ce qu’ils s’endorment ou encore elle se demande pourquoi ils se lèchent la patte. « C’est stupide ! » Ce sont donc ses propres questions sur « son ineffable et stupide existence [3] » qui se sont déplacées sur ses chiens sur un mode transitiviste. Un autre élément signe la perplexité : « Je me demande ce que je fous là. Je cherche des explications – et parfois je me demande pourquoi je cherche des explications. »
Je tente par une interprétation de relier l’obsession de la porte à son sentiment d’être « enfermée ». Pas de réaction, mais une association : « Il y a d’autres trucs bizarres : avant de me coucher, j’examine le sol. [4] » Puis elle date le rituel de la porte de ses années de collège. « Dès que j’ai dû fermer la porte seule. » Une peur s’est-elle symptomatisée sur la porte ?
Voit-elle un lien entre ce qui lui arrive et son histoire ? Aucun. Est-ce une défense ? Un blanc subjectif ? Je lui dis que j’hésite à lui proposer le traitement analytique qui est basé sur la parole. Soudain, elle craque. « Enfant, je n’ai presque pas vu mes parents ; je me débrouillais seule et je devais m’occuper de ma petite sœur. »
Les parents qui géraient en couple un commerce, rentraient très tard, harassés. Elle se sentait exclue. Elle pleure en évoquant ces souvenirs. Le père, d’une jalousie maladive, lui dit « fais ta vie [5] ». Nous remarquons « du coup, vous ne vous la faites pas, votre vie ! » Surprise, elle éclate d’un rire presque trop fort. « J’ai trop mis de choses de côté, je ne me suis jamais écoutée. » On entend, à présent, sa souffrance psychique.
Nous acceptons l’entrée au CPCT. Nous parions sur le fait – qu’indépendamment de la structure – elle peut être réceptive à une parole que l’on extrait de son présent, pour la convertir en savoir. Or, Maëlle refusera le premier rendez-vous proposé, arguant qu’elle ne peut s’engager dans un suivi. Craint-elle d’être laissée tombée par le consultant ?
Trois semaines après, je la revois en consultation. Beaucoup de choses ont changé dans sa vie. Elle s’est délestée du signifiant « manager » qui lui dictait son rapport sacrificiel au savoir [6]. Elle a trouvé un emploi. Elle a fait de la place à un copain. Néanmoins, les insomnies perdurent ; elle est épuisée. Ses relations avec sa colocataire se dégradent [7]. Celle-ci ne supporte plus que Maëlle surveille ses faits et gestes et veuille la « régler ».
L’adresse au CPCT l’aide à « s’écouter un peu elle-même » mais, plus précisément, la consultation a touché au signifiant manager, extrait d’une série télévisée qu’elle regardait, enfant. Elle s’est arrimée très tôt à ce S1 qui a pris un caractère totalitaire et l’a coupée du lien social. Il lui est difficile d’amorcer un travail de parole – qui implique de renouer avec un autre clinicien – mais accepte d’être médiquée et demande une adresse.
Dans la consultation, il s’agit qu’un rapport s’établisse avec « la dimension hors temps de l’inconscient [8] ». Cette opération réussit partiellement produisant un re-branchement et quelques effets thérapeutiques rapides mais pas d’entrée.
[1] Miller J.-A. « Introduction à l’érotique du temps », La Cause freudienne, nouvelle revue de psychanalyse, n°56, p. 82.
[2] Centre psychanalytique de consultation et de traitements.
[3] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 549.
[4] ( Dans le but de rechercher) surtout des bouts-filtres abandonnés par sa colocataire ou des fragments de médicaments.
[5] C’est-à-dire « fais-toi une situation et ne t’occupe pas de nous ».
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