CPCT. Colloque 2019 « Vous avez dit bientraitance? », par Ianis Guentcheff

En préparation du Colloque Vieillir qui aura lieu le 3 décembre à Marseille, Ianis Guentcheff, docteur en psychologie clinique, consultant au CPCT Marseille-Aubagne nous livre ce texte intitulé « Vous avez dit bientraitance? »

La démence objecte à la prise en charge institutionnelle à partir de ses symptômes dits « associés » ou « troubles du comportement ». Pour ce que nous en observons, les difficultés de vivre, qui se déclinent en difficultés à faire, mais aussi à faire avec les autres, à être et à être avec les autres, sont très régulièrement traitées comme autant d’obstacles à la prise en charge qu’il faut résorber, attendrir, ou encore, à défaut, avec lesquels il faut composer.

 De ce point de vue, les « troubles associés » à la démence sont ce par quoi la prise en charge rate. Ainsi, les deux principaux discours que nous avons rencontrés sur le terrain institutionnel sont, pour prendre l’exemple fréquent d’un symptôme dit d’« opposition » : soit le « trouble » est considéré entraver le soin, il est l’objet, direct et univoque, que le soin devra faire céder. Soit « l’objet du soin » est masqué derrière ce qui entrave le soin, il est cette entrave elle-même. Dans les deux cas quelque chose s’oppose au rapport soignant/soigné qui le maintient, en filigrane, dans l’entier bloc de son idéalité. Cette exigence de rapport sans reste, de complémentation, peut être à l’origine d’une grande violence institutionnelle à l’endroit de tout ce qui viendrait faire séparation, coupure, c’est-à-dire rencontre (tuché), au sens de son caractère hasardeux, inattendu, voire traumatique. Dans ce contexte, tant la pensée des équipes soignantes que les constructions singulières des patients sont étouffées par un idéal insu du « rapport » qui ne s’offre alors plus à voir que dans des formes qui semblent, de ce point de vue, corrompues (ex : opposition, agressivité, conduites et humeurs immotivées, comportements aberrants, perturbateurs, etc.).

Ainsi, l’écriture à deux mains de la relation de soin ne s’écrit-elle plus, s’effaçant derrière les conduites quotidiennes qui consistent trop souvent pour le sujet soignant à employer le « on » indifférencié « On va prendre la douche » (Mais qui donc ?), à supposer un savoir partagé « Venez avec moi, on y va ! » (Mais où donc ? Comment le sujet soigné pourrait-il le savoir autrement que par une opération magique ?), ou encore à pousser un fauteuil roulant sans avertir de sa présence, etc. Opération engageant le sujet soigné à n’être qu’une extension du corps d’un autre, d’un savoir et d’une volonté eux-mêmes aliénés aux soignants qui fonctionnent sans plus subjectiver leur fonctionnement. Autrement dit, dans une telle clinique, il est proprement impossible de faire du soignant et du patient des objets différents, que leur relation, en premier lieu par l’opérateur du langage, séparerait. Ce qui est appréhendé par le discours commun, du côté de la notion triviale de « maltraitance », est souvent le résultat de cette non séparation. La souffrance au travail également.

Des sujets que tout sépare, mus par une jouissance inconsciente, se rencontrent alors en cette extrême pointe de fusion où ils s’annulent comme sujet pour se faire, chacun, objet de l’autre.

Le psychologue clinicien alors, parce qu’il est dégagé du discours et des exigences soignantes, travaille à maintenir cette séparation. Il fait trou dans le savoir soignant. Partant de cette castration nécessaire à la rencontre et la reconnaissance de l’autre dans son altérité, il peut poser que le quelque chose de la démence qui résiste à la prise en charge n’est pas tout à fait étranger au sujet accueilli. Il pose que le sujet est, par définition, « celui qui fiche le bazar dans tout protocole antérieur à sa rencontre avec lui[1] ». Il y aurait alors une autre clinique possible, une « clinique du sujet » qui dégage le soignant de l’imaginaire, par définition binaire, d’un soit ça rate, soit ça réussit. La « clinique du sujet[2] » pour François Leguil est « la clinique d’une impossible certitude quant à la validité de cette clinique ». Cet impossible relève intrinsèquement de la clinique et n’est déterminé par aucun effet d’incapacité qui pourrait trouver à se résoudre par une trouvaille future, par une nouvelle classification. L’incertitude est fonction et fonctionnement de la clinique du sujet.

 C’est donc au titre où la clinique elle-même s’en déduit, que nous ne pouvons pas faire l’économie du sujet. Ce pari pascalien, dans la clinique de la démence, n’est pas à situer au commencement de la pratique, comme postulat humaniste. Au contraire, il doit se tenir au centre de la praxis. Nul besoin alors de tempérer le fantasme inconscient par une supposée bienveillance qui se prendrait pour la cause de l’acte de soin. Ainsi, le pari du sujet n’est pas à situer unilatéralement chez celui qui le prend, comme supposition contre-transférentielle prudente. Il ne s’agit pas d’un «au cas où». C’est au contraire de faire ce pari que le sujet advient d’en être causé (par l’Autre).

 Ce pas de côté, qui va du trouble au symptôme, ouvre alors un espace pour le sujet du désir en le reconnaissant comme tel de ne plus s’orienter uniquement de la satisfaction du besoin. S’ouvre alors la possibilité de la formation et de la reconnaissance du symptôme. L’injonction « Il faut manger ! » par exemple, profondément désubjectivante d’être hors sens, cède alors la place à un « Qu’est ce que ça veut dire ? De quoi est-ce le symptôme ? ».

 Esquirol écrivait en 1805 : « Que de leçons précieuses celui-ci (le médecin) ne reçoit-il point ! (…) dans leurs (les aliénés) gestes, dans leurs mouvements, dans leurs regards, dans leurs propos, souvent dans des nuances imperceptibles à tout autre, il puise la première pensée du traitement qui convient à chacun.[3] » Ainsi, la « solution thérapeutique » ne peut pas se déduire en dehors de la relation singulière. Dans ce cadre de pensée, où le professionnel se laisse enseigner par le patient qu’il rencontre, la preuve de l’existence subjective ne s’obtient qu’à partir de ce que les prévisions ratent. Les équipes soignantes ne s’y trompent pas et doivent être écoutées avec attention lorsqu’elles indiquent : « Il a ses jours, des fois ça marche, des fois ça ne marche pas ». C’est-à-dire, in fine, qu’il est impossible de systématiser un traitement du sujet dément pour la raison « qu’on appelle sujet ce qui explique que ça ne marche pas[4] ». C’est là le non (nom) du sujet : quelque chose résiste qui est le sujet lui-même.

[1] LEGUIL, F. Quelle clinique pour quel traitement ?, Retranscription audio de la conférence «Psychopharmacologie et psychanalyse» à Lausanne le 01.02.2014, Blog «Lectures Freudiennes».

[2] Ibid.

[3] ESQUIROL, Jean Étienne Dominique. (1805) Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale, Thèse de médecine, p 7.

[4] LEGUIL, F. Quelle clinique pour quel traitement ?, Retranscription audio de la conférence «Psychopharmacologie et psychanalyse» à Lausanne le 01.02.2014, Blog «Lectures Freudiennes».

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