SC. Colloque 2019. « Les délires » par Françoise Biasotto-Roux

Lecture de la treizième leçon de l’Introduction à la clinique psychiatrique d’Emil Kraepelin par Françoise Biasotto-Roux, participante à la section clinique.

Emil Kraepelin introduit son propos sur le délire en posant qu’une même affection se présente très souvent sous les formes les plus variées. À l’inverse, certains tableaux morbides offrent une grande analogie entre eux tout en ayant une valeur clinique différente. Par ailleurs, à côté des signes les plus visibles, il en existe de beaucoup plus discrets mais caractéristiques : les symptômes pathognomoniques. Ses recherches et sa démarche de classification lui permettent ainsi de distinguer l’état d’excitation maniaque de l’excitation catatonique, jusqu’alors confondus dans une catégorie plus générale de l’impulsion motrice. De même, il différencie l’inhibition motrice de la volonté et le négativisme qui étaient réunis sous le terme de stupeur[1].

Dans cette partie sur les délires, Kraepelin procède à une clinique différentielle de trois délires : un délire mégalomaniaque causé par une « paralysie galopante »[2], un délire hors sens apparu dans un état d’excitation confuse renvoyant à une démence précoce et un état délirant dans un cas d’épilepsie. Il compare les signes entre eux et, à partir d’une démarche déductive argumentée, pose le diagnostic. Notons que, s’il rapporte les paroles précises des malades, il s’intéresse avant tout à une causalité organique ou neurologique. Par exemple, il fait l’hypothèse que la paralysie générale est probablement en lien avec une syphilis qui reste à confirmer. Pour le psychiatre, le diagnostic de la démence précoce se vérifie par la présence du syndrome de négativisme et la catatonie ainsi que par le fait que ce sujet, à la différence de l’épileptique[3], n’a aucune conscience d’avoir été malade. La répétition des passages à l’acte auto ou hétéro-agressifs rend le traitement difficile. Kraepelin préconise la balnéothérapie et des enveloppements mouillés. Dans l’épilepsie, le délire apparaît dans les états crépusculaires : « Certains états crépusculaires d’origine épileptiques ont de leur côté pour symptômes fréquents de grands troubles de la compréhension, un délire très actif […], une alternance rapide de stupeur et d’excitation[4]. »

La description un peu fastidieuse de ces délires tient à une clinique du visible et non de la parole. La causalité psychique est absente de ces présentations. Exit le sujet. Pourtant quelques éléments d’anamnèse intéressants sont présents, au titre de signes parmi d’autres. La parole des malades renvoyant à la singularité du sujet n’a donc pas de place dans sa nosographie : « Très grand voyageur, il sera toujours intéressé par l’observation des symptômes au travers des cultures : ne pas en connaître la langue ne constituait nullement un obstacle pour lui : “L’ignorance de la langue est une excellente condition d’examen[5] ”. » Dans chaque tableau se succèdent des signes cliniques qu’il compare avec ceux d’autres maladies, en particulier avec ceux de l’épilepsie et du délire alcoolique.

Kraepelin cherchait avant tout la causalité organique des maladies mentales. La classification des maladies l’intéressait plus que les malades eux-mêmes. Jacques-Alain Miller rend hommage aux qualités d’observateur de Kraepelin : « Mais le Kraepelin théoricien, celui qui cherche une causalité organique, nous parle moins. Car, nous, avons notre causalité psychique dans la poche, c’est à dire notre causalité logique, notre causalité signifiante[6]. »

Kraepelin, né en 1856, a écrit son Introduction à la clinique psychiatrique en 1907. En 2019, c’est à dire cent douze ans plus tard, nous constatons un retour en force de cette clinique du signe. Si elle est nécessaire pour ne pas passer à côté d’un diagnostic d’origine organique ou neurologique et pour en déduire un traitement, elle ne doit pas se faire au détriment de la clinique du sujet, qui a quelque chose à dire des effets subjectifs de sa maladie, quelle que soit sa causalité.

 

 

[1] Emil Kraepelin (1907), « Treizième leçon – Les délires », Introduction à la clinique psychiatrique, Paris, Hachette Livre, BnF, 2013, p. 153.

[2] Ibid., p. 156.

[3] Ibid., p. 160.

[4] Ibid., p. 163.

[5] Guy Briole, « Emil Kraepelin. La fragilité d’une œuvre colossale », La Cause freudienne, n° 73, Les surprises du sexe, Paris, Navarin éditeur, 2009, p. 120.

[6] Intervention de Jacques-Alain Miller dans la discussion qui a suivi la conférence de Guy Briole, in Ibid., p. 134.

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