En préparation du Colloque Psychiatrie- Psychanalyse des 26-27 septembre,Mélanie Romana, participante à la section clinique d’Aix-Marseille témoigne de sa pratique auprès d’enfants et d ‘adolescents souffrant de polyhandicap.
Les corps en présence
Le psychologue clinicien orienté par la psychanalyse rencontre des parlêtres. Les sujets que nous écoutons se racontent habituellement à travers le langage verbal. Qu’en est-il de l’écoute auprès de sujets qui, bien que pris dans le langage, ne parlent pas ? Je travaille depuis un an auprès d’enfants et d’adolescents souffrant de polyhandicap ou multi-handicap. Leurs corps sont pour la plupart entravés et ils n’ont pas usage du langage verbal. Le corps du clinicien se trouve percuté, agrippé, engagé dans la rencontre avec ces sujets faisant appel à l’autre de façon bien spécifique. Qu’est ce qui, dans l’enseignement de Lacan, peut aider à penser cette clinique où le corps du clinicien se trouve mobilisé dans le réel par les sujets qu’il rencontre ?
Je pense à une préadolescente (pouvant marcher), aux prises avec une grande violence physique qu’elle dirige vers elle-même et vers l’autre. Elle vient également agripper (les cheveux, le col) avec beaucoup de force, tour à tour, des professionnels qui gravitent autour d’elle. En quoi peut-on faire le pari qu’un accompagnement clinique permettra de pacifier son rapport aux corps (corps propre et corps de l’autre) ? Comment œuvrer à ce qu’une demande puisse se constituer ?
Je rencontre très souvent cette jeune fille qui vient systématiquement vers moi quand j’arrive sur le pavillon, de la même façon qu’elle peut le faire avec certains autres professionnels. Au fil des rencontres les gestes auto et hétéro agressifs s’estompent. Si je lui tends mon bras quand elle vient m’agripper, elle déplace son geste en accrochant son bras au mien et peut me conduire à différent endroits si je me laisse guider. Elle peut ainsi m’emmener à l’extérieur pour une balade ou pour aller faire de la balançoire. Elle peut également me conduire dans une pièce isolée de la salle commune dans laquelle règne une agitation ambiante. Si j’installe des tapis de sol et m’y allonge, elle se saisit de cette proposition en s’allongeant à son tour sans en passer par le contact des corps. C’est un temps d’apaisement. Elle y met fin en se levant au bout de quelques minutes.
Il me semble que la proposition d’écoute pourrait, dans ce cas bien spécifique, passer par le fait de se laisser guider, physiquement, par le sujet. Il pourra alors formuler ce que nous pourrions interpréter comme des demandes. Il s’agit peut-être là d’une porte d’entrée pour que nous puissions, à notre tour, lui formuler des propositions cliniques. C’est-à-dire, montrer quelque chose de notre désir de clinicien sans que cela ne soit vécu comme une violence, un envahissement.
Aussi, notons que le clinicien « passe » sur les services à la différence des professionnels qui œuvrent toute la journée auprès des enfants et adolescents. « La possibilité de l’absence, c’est ça la sécurité de la présence »[1] nous enseigne Lacan. Ainsi, cette modalité de présence, incluant l’absence, pourrait-elle contribuer ce qu’une demande puisse émerger ?
Pour la plupart de ces enfants et adolescents, le maintien en vie s’avère d’une grande fragilité. Les hospitalisations sont fréquentes. Ils connaissent la douleur, l’intrusion réelle par le matériel médical et l’entrave par les appareillages (corsets, fauteuils roulant, mousses de repos). La pulsion de mort est prégnante, pouvant se manifester tantôt dans le passage à l’acte auto ou hétéro-agressif tantôt dans des manifestations aux allures de syndrome de glissement. Nous rencontrons des sujets qui désinvestissent le corps propre. Ils ne marquent plus la douleur, refusent l’alimentation, dorment la journée des heures durant. Le travail du clinicien ne se limite pas à laisser le sujet faire usage de son corps réel. Cet usage constitue, me semble-t-il, une première modalité d’accroche transférentielle quand le sujet ne peut faire autrement. Nous accompagnons alors le geste de paroles, façon de reconnaître le sujet comme tel, en tant qu’il « se constitue des effets du signifiant »[2]. À cette condition, il nous semble que le branchement sur le corps parlant et vivant de l’autre, pourrait soutenir le versant vivant de la pulsion se faisant parfois très discret chez ces sujets particulièrement aux prises avec un risque de mort aussi bien physique que psychique.
[1] Jacques Lacan, 1962-1963, Le séminaire, livre X : L’angoisse, Broché, 2004, p. 67.
[2] Jacques Lacan, 1964, Le séminaire, livre XI : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse Ed. du Seuil, p.142.
Le programme et la liste des intervenants
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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