SC. Colloque 2019 – Interview – Gustavo Giacosa

Gustavo Giacosa est commissaire indépendant et metteur en scène, il développe une recherche sur le rapport entre l’art et la folie. Établi en France depuis 2012, il crée une plateforme multidisciplinaire à Aix-en-Provence, qui regroupe la diversité de ses productions, SIC.12 (www.sic12.org).  En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, il a accepté de répondre à la question de Renée Adjiman, enseignante associée à la section clinique d’Aix-Marseille: Pourquoi votre intérêt pour l’Art brut ?

En tant qu’artiste, une des questions qui me tiennent à cœur est de savoir comment je peux me détacher des contingences, de l’inutile, des extras, de la périphérie des choses pour aller vers un centre. Mon centre : le centre où demeure l’équilibre nourricier de toute création.

De nous jours, les artistes sont de plus en plus professionnalisés. Aujourd’hui, on ne s’improvise pas artiste. On suit des formations, des masters, de cours de perfectionnement… Pour maîtriser des techniques artistiques mais aussi pour pouvoir défendre et vendre son travail. L’artiste-manager utilise tous les outils à sa disposition pour trouver sa place dans l’éclatement de catégories qui caractérise l’art actuel.  Les résultats, ce sont dans une grande majorité, des projets artistiques confectionnés “ à la table” qui tiennent bien présentes les exigences de la réception. Ils sont sagement réfléchis et écrits avant de passer à la mise en œuvre. Les artistes déploient énormément d’énergie dans plusieurs directions pour chercher à être « performants » dans le système de l’art contemporain. L’artiste qui ne maîtrise pas cette « multifocalisation » requise aujourd’hui, risque de se noyer dans ses intentions et ses propos les meilleurs.

Dans mon propre parcours ce qui m’intéresse, c’est d’abord de vivre l’expérience artistique comme un parcours de la connaissance de soi. Ce parcours se dessine en dépassement du connu et du rationnel. 

La réalisation d’une œuvre est toujours le tremplin qui me permet de pouvoir plonger en moi-même et de découvrir des choses que j’avais oubliées. Ce qui m’intéresse, c’est l’exploration de soi, franchir des barrières et aller vers de territoires inconnus. Dans mes créations, je garde l’intention d’inviter le spectateur à franchir la barrière de la raison. C’est pourquoi, les artistes bruts, dans leur relation à l’intime, ce sont de bons compagnons de route, car ils m’emmènent naturellement dans la direction que je recherche. Ils me montrent un chemin à poursuivre dans leur rapport total et inconditionnel à l’œuvre.

Les artistes bruts vont au-delà de leurs limites, de leur conditionnement, de leur contraintes psychiques ou physiques. Ils découvrent des solutions surprenantes en dépassant ces contraintes. Leur but n’est pas de s’exprimer joliment, ni d’être cohérents avec une certaine technique, mais de répondre à des forces et des impulsions majeures d’ordre psychique ou métaphysique qui le traversent.

Il n’y a pas de “mais” avec eux. Un artiste brut n’a que sa nécessité expressive et dans cette urgence, il transforme et se transforme en faisant de nécessité, vertu. 

Pour illustrer mon intérêt pour l’Art Brut j’ai choisi une œuvre de l’artiste italien Giovanni Galli qui porte comme titre : « La caduta del buio » (« La chute de l’obscurité »). Giovanni Galli est aujourd’hui un des artistes d’art brut vivants le plus reconnu dans le monde.

Son œuvre foisonnante et visionnaire intègre de nombreuses collections privées et publiques, comme la Collection de l’Art Brut de Lausanne (CH), le Musée d’art contemporain, art moderne et art brut de Villeneuve d’Ascq LaM (F), le Museum of everything, Londres (GB), la Collection abcd/Bruno Descharme (F), le Nucleo de Arte de Oliva (PT), pour en citer quelques-unes.

Depuis quelques années je suis de tout près son parcours artistique. En tant que commissaire d’exposition, j’ai présenté son travail pour la première fois en France dans l’exposition « Banditi dell’Arte » à la Halle Saint Pierre de Paris (mars 2012 – janvier 2013). Après cette exposition, l’œuvre de Giovanni Galli a commencé à faire l’objet d’attention de la part de collectionneurs et de musées et la nature iconoclaste et irrévérencieuse de cette œuvre proche de la bande dessinée et d’un certain dessin contemporain se fait rapidement reconnaître d’un public de plus en plus nombreux. 

J’ai présenté à nouveau son travail dans l’exposition « Corps » à la Collection de l’Art Brut de Lausanne (novembre 2017 – avril 2018) et récemment dans « Histoires de violence » au Nucleo de Arte de Oliva à Sao Joao de Madeira (PT) (mars 2018 – janvier 2019).

Actuellement, je me suis lancé dans une nouvelle et double aventure : celle d’une exposition monographique itinérante accompagnée d’un catalogue raisonné et en parallèle la création d’un spectacle inspiré par l’univers de cet artiste.

Après « Nannetti, le colonel astral » inspirée par la vie et l’œuvre de l’artiste d’art brut Oreste Fernando Nannetti (1927 – 1994), ce nouveau spectacle, qui s’appellera : « Écoute Giovanni », continue sur le même élan et les mêmes — composer un portrait libre du destin d’hommes qui aux marges de notre société crient leur propre révolte contre l’imposition identitaire d’un genre.

Dans l’attente d’une explosion nucléaire qui finalement le libère Galli fait de son corps son champ de bataille. Celui-ci, vécu comme une prison douloureuse, est sublimé de manière compulsive par intermédiaire du dessin/écriture. Pour cet artiste écriture et dessin se complètent.

L’iconographie de Giovanni Galli, composée pour la plupart de femmes dénudées, avions militaires, et engins spatiaux, est souvent entourée étroitement par des phrases qui composent dans l’ensemble une unité visuelle. Ses textes révèlent la complexe transcription d’un monde clos envahi par les voix de plusieurs personnages. Certains de ces textes sont lisibles, des autres sont manifestement cachés par l’auteur sous des couches épaisses de pastel. Écrits en langue italienne dans plusieurs directions, ces textes s’entremêlent entre eux et rendent difficile la lecture. Il s’agit d’abord d’un travail de décryptage, de transcription et traduction d’une littérature privée et fantasmée, non conçue pour être lue et encore moins pour être représentée.  

Hanté par la figure de femmes dominantes, Galli compose un monologue intérieur qui libère la voix d’un éventail de représentations féminines : la déesse orientale, l’aristocrate française, la prostituée …  Comme des sortes d’alter ego de son auteur, ces représentations fictionnelles « dialoguent » avec des descriptions réalistes de son état d’esprit et des interrogations faites à la troisième personne.   

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Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse