SC. Colloque 2019 – Interview – Catherine Paulet

Catherine Paulet est psychiatre, médecin-chef du pôle psychiatrie, médecine, addictologie en détention – médecine légale de l’ assistance publique – hôpitaux de Marseille. Chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de Marseille, expert auprès du Comité pour la prévention de la torture et et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe, elle répond à Françoise Haccoun, enseignante à la section clinique d’Aix-Marseille.

Bonjour Catherine Paulet. Merci à vous d’accepter de répondre à nos questions en lien avec le prochain colloque : nouage psychiatrie/psychanalyse qui se tient à Aix les 26 et 27 septembre prochain. Que vous évoque ce thème en lien avec votre pratique.

Mon idée du soin psychiatrique est issue d’un courant de pensée qui considère la folie et la souffrance comme parties intégrantes de la condition humaine, qui fait une place à la liberté de parole et d’écoute et qui a pour objectif de permettre au sujet, où qu’il se trouve, de retrouver sa liberté de pensée, de se penser, en dépit des aléas de l’existence et de la folie. Et le nouage psychiatrie/psychanalyse va de soi dès lors que l’on s’intéresse à la clinique singulière du sujet, de son rapport à lui-même, autrui et le monde qui l’environne.

 Vous possédez une connaissance approfondie et pratique des questions relatives à la prise en charge sanitaire des personnes privées de liberté. En tant que médecin-chef du pôle psychiatrie, médecine, addictologie en détention – médecine légale de l’assistance publique – hôpitaux de Marseille, vous êtes par ailleurs membre fondatrice et présidente d’honneur de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire. Votre engagement personnel en faveur de la défense de ce public et, plus généralement, pour la progression des droits fondamentaux, vous a amené à vous impliquer toujours plus pour faire avancer cette cause qui vous tient à cœur. Vous pouvez témoigner de l’avancée de votre réflexion sur ce sujet très en lien avec le malaise dans la civilisation ?

Le passé éclaire le présent. Mes grands-parents avaient connu les douleurs des guerres ; ils n’avaient pas lu Emmanuel Kant et son projet de paix perpétuelle et d’Etat universel cosmopolite mais ils étaient convaincus qu’un monde sans Union des Nations était infiniment dangereux. Je leur dois d’avoir visité les lieux de mémoire, compris la portée des procès de Nuremberg et de la déclaration universelle des droits de l’homme, d’avoir saisi l’importance des luttes sociales pour l’égalité des chances. Je leur dois d’être médecin des âmes les plus en peine et les plus en marge, et d’être attachée au respect des droits humains fondamentaux qui concerne tous les membres, sans exception, de la « famille humaine » selon l’expression chère à René Cassin. Parmi ces droits fondamentaux, le droit à la santé défini comme « le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’il soit possible d’atteindre », dont les bases éthiques et concrètes sont :

– le principe d’égalité et de non-discrimination : il s’agit non seulement de garantir l’accès aux soins de santé pour tous mais aussi d’agir sur les déterminants fondamentaux de la santé : comme l’approvisionnement en eau potable, le traitement des déchets, un logement décent…et plus récemment la promotion d’une couverture maladie universelle

– l’accessibilité, la disponibilité et la qualité des services

– le consentement et la liberté de refuser un traitement médical

– la prohibition de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Evidemment, le respect des droits fondamentaux ne va pas de soi et les manquements aux garanties fondamentales affectent le plus souvent les groupes les plus vulnérables ou les plus marginalisés. Bien sûr les temps sont troublés. Le terrorisme, la sécurité et les migrations sont désormais les priorités des opinions publiques, des gouvernements et des médias. Les replis nationalistes, le relativisme culturel qui mine l’universalité des droits fondamentaux, prospèrent. Les institutions européennes et onusiennes traversent une crise de légitimité et de consensus et il est difficile, dans ces conditions, de promouvoir l’enracinement de la démocratie et les droits humains et d’en assurer une application efficace et généralisée…Cependant sont à l’œuvre, dans le même temps, des mouvements et des forces qui contrebalancent ces vents mauvais et plaident pour un certain optimisme. Je prendrai des exemples récents qui établissement de hauts standards pour lesquels les Etats s’engagent et s’obligent et qui font évoluer concrètement les droits des personnes :

  • l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (dites règles Nelson Mandela) adoptées à l’unanimité par l’assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 2015
  • et la convention pour les droits des personnes handicapées entrée en vigueur en 2007 et ratifiée à ce jour par 180 Etats parties
  • ou encore le protocole facultatif à la convention contre la torture, à l’origine, en France, de la création du Contrôle général des lieux de privation de liberté

Après tant d’années, dans le quotidien de ma pratique et dans mes engagements internationaux, j’essaie, avec humilité, de garder le cap du respect de la dignité humaine.

Après près de vingt ans de pratique et d’implication en psychiatrie en milieu pénitentiaire, pourriez-vous parler de ses objectifs et de ses limites ? pouvez-vous dire que la réponse des pouvoirs publics est une réponse sécuritaire ? Ne produit-elle pas plutôt un amalgame entre maladie mentale et dangerosité dont vous dîtes « qu’il entretient l’illusion qu’il existerait un savoir permettant d’évaluer, sous le nom de dangerosité criminologique ?

 Le Colloque est un effort bienvenu et nécessaire de mise en sens d’une crise sociétale profonde.

 Le primat de la rentabilité et de l’efficience, le rabattement sur l’individu de la responsabilité, l’effacement de sa singularité sonnent le glas des marges, des incompétents, des déviants, des autres…. La peur et les dynamiques de repli identitaire sont désormais bien installées.

 Alors oui, l’inflation carcérale d’une part et la présence de nombreuses personnes souffrant de pathologies psychiatriques ou addictives en prison d’autre part, témoignent d’une société qui exclue et expulse. Le mot valise « dangerosité » vient obérer la réflexion sur les conditions du vivre ensemble, sous couvert d’une extraordinaire escroquerie intellectuelle qui prétend déterminer scientifiquement ce qui n’est qu’un opérateur incertain du pouvoir de punir.

Du reste, ce n’est pas un phénomène propre à la France, c’est une tendance forte en Europe et à peu près partout dans le monde.

 Sur cette base, certes le modèle français d’organisation et de prise en charge sanitaire des personnes détenues, sous pleine tutelle du ministère de la santé, est un modèle performant et pertinent, mais il est victime de son succès et produit ce paradoxe : on incarcère pour soigner !

 

Et les migrants ? Que pouvez-vous nous dire de votre action que l’on peut caractériser sans aller trop loin de militante !

 Les migrant(e)s pour raisons économiques, pour un ailleurs meilleur, a fortiori les demandeur(e)s d’asile, plus encore peut-être les mineur(e)s dit(e)s « non accompagné(e)s », ont généralement fait, avec un courage incroyable, un très long et parfois terrible voyage. Ils/elles m’impressionnent et m’inspirent le plus grand respect. Le rejet violent et cynique dont ils/elles font l’objet de la part des Etats les blessent profondément (quand il ne les noie pas). Parce que c’est une tragédie, j’ai vergogne à en parler du point de vue psychiatrique et je préfère recommander la lecture d’Eldorado de Laurent Gaudé et d’Un monde de camps sous la direction de Michel Agier aux éditions La découverte.

Dans un de vos textes lu sur internet, vous citez Antoine de Saint-Exupéry dans Vol de nuit : « Voyez-vous… dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent. » Comment l’appliqueriez-vous au sein du malaise contemporain de votre secteur ? Vous dites aussi, je vous cite :« Alors, le défi pour les années à venir sera bien celui d’une pédagogie inlassable de terrain[1] ».

 Quand je suis optimiste, je pense à Marc Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » Quand je suis pessimiste, au Mahatma Ghandi : « Tout ce que tu feras sera dérisoire mais il est essentiel que tu le fasses ».

Merci infiniment chère Catherine de cet échange si éclairant !

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