Cartels. « Une coupure sans couteau ». Retour sur la rentrée des cartels avec Daniel Pasqualin

Par Ianis Guentcheff – Ce samedi 13 octobre, à Aix-en-Provence, nous avons eu la chance d’écouter quatre interventions (lire la présentation ici). Celles de trois cartellisantes et le témoignage de Daniel Pasqualin, Analyste de l’Ecole*, venu dire quelque chose du plus singulier de son parcours. Sans résumer ce qui ne peut s’entendre que corps présent, je voudrais dire comme j’ai été frappé par l’extraordinaire convergence des différents exposés.

En effet, ce dont il s’agit, dans le travail de cartel comme dans la passe, engage le plus intime et l’articule à l’universel du concept. Ce jour-là, salle Saint Sauveur, cette articulation profonde, ce désir de partager le singulier de sa question, de son style propre, étaient au premier plan.

Lorsqu’un participant a demandé à Daniel Pasqualin pourquoi donc écrivait-il, parlait-il en public du plus privé de son parcours analytique, l’analyste a répondu : «pour que cela serve à d’autres, c’est un acte politique.»

C’est cela aussi qui meut les cartellisants à la recherche d’un savoir. Il s’agit que la réponse «pour tous», le savoir du maître, ne bouche pas le trou de leur questionnement individuel. Ce qui s’est dit ce samedi s’est énoncé dans une vraie cohérence de forme et de fond, où, chacun à sa façon, tint un propos sur l’invention d’une singularité nécessaire à toute vie heureuse. Ces exposés se sont admirablement orientés, se concaténant, démontrant à la fois la direction précise que prend la doctrine analytique en train de se faire et le travail fourni par chaque intervenant pour mordre davantage sur ce savoir. Nous avons entendu ce samedi des sujets boussolés dans et par leur travail.

En un mot, Daniel Pasqualin a proposé une lecture de sa cure à la lumière du dernier enseignement de Lacan. Il est parti de la scène originelle, traumatique, où il voit sa mère «pisser le sang», le doigt coupé et un couteau à la main. A côté, le père. L’enfant associe alors cette coupure à l’acte sexuel. Cette coupure de la mère, qui voile et révèle le «sans» de la castration derrière le «sang», il a fallu tout un parcours analytique pour la saisir autrement que comme effet de l’acte du père. La mère se coupe seule.

À la fin de la cure intervient un rêve : une boucherie sans couteau. Pas besoin du Nom-du-père – bien que l’analysant s’en soit longtemps servi – pour que la coupure opère et que le sujet s’en débrouille. Ainsi, selon Lacan : «ce qu’il y a de plus névrosant, ce n’est pas la peur de perdre le phallus ou la peur de la castration. Le ressort tout à fait fondamental de la névrose, c’est de ne pas vouloir que l’Autre soit châtré.[1]»

À ce point nodal du fantasme, les trois travaux de cartel ont fait un bel écho. Le texte de Delphine Tchilinguirian a porté sur le passage à l’acte et l’acting out, précisant, dans un point de traduction, ce qui à la manière de la lettre volée se tenait sous le regard de tous sans être vu et qui consiste en ceci que l’acting out est une montée sur la scène (du fantasme) alors qu’il est généralement entendu comme sortie de scène (de la cure). C’est donc une sortie «donnée à voir», un appel à la lecture de l’Autre. La coupure de la mère, castration comme acte, implique ici l’objet regard (du sujet) et forme le lit du fantasme.

Le texte de Béatrice Marty a porté, dans la continuité de son travail de recherche, sur la jouissance Autre, jouissance féminine sans bord, lieu d’une énigme, tant pour le sujet que pour le partenaire. C’est bien de cette jouissance qu’il est question dans la scène primitive de la coupure, dès lors que le père, comme agent castrateur, est remis à sa juste place, non plus cause mais après-coup d’une mise en sens (œdipien). Il n’y a pas de primat du symbolique.

Enfin, l’exposé de Jennifer Lepesqueur a porté sur Hamlet. Pour Lacan, Hamlet, qui résiste à toute velléité diagnostique, est un texte de l’au-delà de l’Œdipe. La mère, personnage central de la pièce, confronte Hamlet fils à l’illimité de sa jouissance – là où on a pu penser que la mort du père et la culpabilité du fils étaient les paramètres essentiels de la dépression d’Hamlet et de sa difficulté face à l’acte. Daniel Pasqualin a donné une définition de Lacan quant à l’autoérotisme comme jouissance : «c’est la bouche qui se glougloute». A cela répond une note de Lacan dans le séminaire VI, qui indique que Gertrude est une «mère qui est moins désir que gloutonnerie»[2]. La mère jouisseuse, capable de prendre pour mari un grand roi comme un traitre infâme, fait déconsister l’idée même qu’une place est à prendre qui soit désirable et capable de décerner un plus d’être. La cure analytique est désontologisée et implique désormais que le sujet ne fait qu’ex-sister à son manque-à-être. C’est en ce point, qui ne s’oriente pas de la loi du père (métaphore paternelle), mais du désir de la mère (métonymie du désir), que la psychanalyse révèle son grand secret : « Il n’y a pas d’Autre de l’Autre.[3] »

La scène traumatique est rencontre avec un Autre réel qui se jouit, et prend statut de scène (primitive) dans un effort de recouvrement, sans le recours duquel l’insondable et l’arbitraire du désir de l’Autre laissent le sujet sans défense (psychique). Sur le modèle de la psychose, dans une perspective continuiste, cela ne tient que grâce à une construction secondaire. Ce qui se démontre alors est que le fantasme (œdipien) est un délire, c’est-à-dire un voile sur le réel, une « défense contre le trauma »[4].

Lors de cette rentrée des cartels, Daniel Pasqualin, ainsi que chacune des cartellisantes, ont donc illustré que l’interprétation du désir ne s’oriente pas tant d’un universel de la loi que d’un savoir-y-faire singulier avec la rencontre d’un réel.

I. G.

[1] Lacan, J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Éditions de La Martinière, Le Champ freudien, 2013, p. 275.
[2] Lacan, J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Op. cit., p.­356.
[3] Ibid., p. 353.
[4] Miller J-A. « Une introduction à la lecture du Séminaire VI », Le désir et son interprétation, dans La cause du désir, n° 86, Mars 2014, p. 65-66, « Quand le sujet a affaire a l’opacité du désir du grand Autre et que cette opacité, son illisibilité, a pour effet l’Hilflosigkeit freudienne, la détresse du sujet, c’est alors qu’il a recours au fantasme comme à une défense. […] Ce que Lacan appelle dans ce Séminaire l’expérience du traumatisme reste marqué du recours au fantasme. »

* L’Analyste de l’Ecole, AE, témoigne, dans le processus dit de la passe, de son passage à l’analyste.

 

 



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