Philippe Pujol : « La montée du FN est un symptôme de notre société »

Journaliste et écrivain, lauréat du prix Albert-Londres en 2014 pour sa série d’articles « Quartiers shit » sur les quartiers nord de Marseille, auteur du tout récent Mon cousin le fasciste (Seuil, 2017), Philippe Pujol, 42 ans, a répondu présent pour intervenir au 2e Forum anti-haine organisé à Marseille par l’ECF et le Forum des psys (lire ici). Il s’entretient en avant-première avec Graziella Gabrielli.

Graziella Gabrielli : Quelles seraient les conséquences de l’accession de Marine Le Pen au pouvoir, selon votre point de vue de journaliste ?

Philippe Pujol : Une première conséquence serait symbolique. Son élection constituerait un message adressé aux fascistes du monde entier. Une extrême droite dure accède au pouvoir au sein d’un pays du G8. Puisque cela arrive en France, c’est donc que cela est possible. Nous observons notamment pour cette raison que MLP reçoit le soutien de partis d’extrême droite d’autres pays.

Sur l’action du FN au pouvoir et son incidence, nous pouvons aujourd’hui livrer deux lectures. La première lecture suppose que les institutions de la République résistent et se montrent solides. Cette première possibilité consiste en la mise en œuvre de multiples mesures ravageantes pour l’ensemble de la société, répondant à une idéologie d’extrême droite, qui s’étendraient à tous les domaines de notre société, la culture, la santé, les médias, l’éducation… Dans un premier temps, MLP appliquerait certaines mesures destinées à satisfaire l’électorat FN et à diviser la société telle que « l’immigration zéro ».

Très rapidement le domaine de la culture serait affecté. La culture régionaliste serait promue, un glissement s’opérerait ainsi vers leur idéologie. Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animé) par exemple, une fois détourné en outil de propagande, peut exercer une censure phénoménale sur la création cinématographique. Nous assisterions à une contestation au FN par une créativité culturelle, en dépit des tentatives certaines d’annihiler par le biais notamment du retrait des subventions, ce terrain de résistances.

La seconde lecture est celle d’une mise en place graduelle probable d’un état totalitaire, en une année. La peur est un levier d’adhésion au FN. Le risque d’escalade est assez fort. Nous entrons dans un scénario du pire. Dans un état de tension permanente les Sages ne seraient plus entendus. Le FN se désigne comme un parti « anti-élite ». Cela prend sens comme un temps préparatoire par l’imprégnation du discours par une certaine idéologie. L’objectif est de discréditer les Sages afin d’attiser les pulsions primitives, les peurs remplaceraient la raison, sans garde fou. Les Etats autoritaires et fascistes ne s’épanouissent que dans la guerre qui est nécessaire à leurs existences. Les syndicats, par exemple, seraient présentés comme responsables des tensions et très vite seraient muselés. Le monde dans la rue se gérerait par l’autorité dans la violence. L’état de siège, sous couvert d’un danger imminent, serait sans doute déclaré. A partir de là, les techniciens du FN sauraient faire usage de l’article 16 de la Constitution et nier la démocratie pour sombrer dans un état d’abord autoritaire (avec l’approbation d’une partie de la population) puis totalitaire (à l’encontre de toute la population). Le FN est un parti fasciste.

Aujourd’hui le métier de journaliste bien que primordial est en danger car précaire pour l’immense majorité de la profession. MLP saurait achever cette profession simplement en coupant les vivres. Les journalistes dans un processus de précarisation pris par la nécessité de survivre seraient encouragés à se mettre au service de la demande. Dès à présent nous observons que dès lors qu’un élu FN accède à une position de pouvoir, les médias sont muselés. À l’échelle municipale, nous assistons à une mise au tapis de la communication. Les municipalités en font ensuite un usage de media directe, et les sites de ville deviennent des organes de diffusion de doctrine.

G. G. : Pourquoi avoir fait le choix de répondre à l’Appel des psychanalystes par votre intervention au Forum du 3 mai prochain ?

P. P. : Le fait que des psychanalystes soient à l’origine de cet appel fait résonner un message important. Le message anti-haine, que l’on peut ainsi entendre comme un intime à traiter. Clairement, le vote FN s’inscrit et s’origine d’un rapport à l’intime. Symboliquement, le Forum des psychanalystes adresse ce message pour la plupart des gens extérieurs au milieu psy : la montée du FN est un symptôme de notre société, une névrose sinon une pathologie. Il nous faut avoir peur du FN.

Propos recueillis par Graziella Gabrielli.

Mon cousin le fasciste, Philippe Pujol, Seuil, 2017
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