Bien que la psychanalyse lacanienne subvertisse la tradition psychiatrique, elle n’a cessé d’entretenir avec elle, du vivant de Lacan, des liens privilégiés. C’est dans cette lignée que s’est inscrite la journée de recherche clinique organisée le 15 octobre dernier à Marseille par la Section clinique et le centre hospitalier Valvert. Son thème : “La psychose, les psychoses – Questions préliminaires”. Retour sur une journée d’échanges exceptionnellement riche.

« Regarde, il a des gens qui sont de passage » et a / graphiti sur une porte de l’ancienne prison Ste-Anne (Avignon, 2014).
La journée de recherche clinique La psychose, les psychoses – Questions préliminaires organisée en partenariat avec l’hôpital Valvert le 15 octobre dernier (lire le programme complet) s’inscrit dans la voie ouverte par Lacan, qui a entretenu avec la psychiatrie un dialogue quasi-permanent. Bien que la psychanalyse lacanienne subvertisse la tradition psychiatrique, elle n’a cessé d’entretenir avec elle, du vivant de Lacan, des liens privilégiés. Aujourd’hui, la dérive scientiste fait fi de la subjectivité, elle a infiltré la formation des psychiatres, dont l’exercice reste cependant propice aux échanges, autour de la recherche clinique. C’est, de fait, autour de la praxis, comme le souligne dans l’argument Hervé Castanet, professeur des universités, psychanalyste et directeur scientifique de cette journée, que le débat clinique psychiatrie/psychanalyse demeure d’actualité. Il y a urgence pour l’avenir à maintenir ce nouage et à définir une intersection de ces deux cercles d’Euler.
Marquons un pas supplémentaire : les enjeux de cette rencontre ne se bornent pas à la clinique. Lacan s’est toujours préoccupé du devenir institutionnel de la psychiatrie et de l’incidence du politique sur la psychiatrie. Or, dès l’ouverture de la journée, Alain Gavaudan, président de la Commission médicale d’établissement (CME), a mis en exergue ses implications sur la défense de la formation professionnelle des médecins et des soignants que le politique tend à remettre en cause. Robert Brenguier, directeur du centre hospitalier Valvert, a ensuite pris la parole pour défendre la clinique, mise à mal dans le contexte des restrictions budgétaires et des difficultés financières qui en découlent pour l’hôpital public. La praxis subit au sein de l’hôpital les effets d’une politique hospitalière qui évacue la clinique.
Sous ces auspices, Hervé Castanet a lancé « la mise en chantier d’une jonction de recherche entre psychanalyse et psychiatrie » comme réponse à la démantibulation d’une clinique qui voudrait se régler sur les effets de la pharmacopée – dont personne cependant ne conteste l’utilité. La psychiatrie – qui a toujours procédé d’une théorisation logico-déductive et d’une élaboration théorique de la causalité – a subi les effets de l’éclatement produit par la mise en forme d’items du DSM iv et v et par la covariance statistique qui oriente cet outil. Quant à la psychanalyse, elle a pâti des conséquences d’une dilution psychologisante initiée par Lagache qui a fragmenté la cohérence conceptuelle. Or, historiquement, les efforts de rigorisation de la psychose se sont alimentés entre psychiatrie et psychanalyse grâce à l’intersection clinique entre les deux disciplines. Hervé Castanet a rappelé les fondements de la grande psychiatrie classique en perte de vitesse aujourd’hui et dont les trésors cliniques sont à revisiter. Ainsi, référence a été faite à Henri Ey et son manuel de psychiatrie, ainsi qu’aux traités de Kraepelin. C’est à partir de la psychiatrie et des travaux des psychiatres que Lacan, s’appuyant sur l’apport freudien dans le cas paradigmatique de l’homme aux loups, a élaboré le concept de forclusion du Nom-du-Père.
Le thème de la journée, “La psychose, les psychoses”, donne l’enjeu du débat : le singulier indique la primauté de l’unification du champ de la psychose autour du terme de forclusion, tandis que le pluriel marque le passage à la pluralisation des modalités singulières. Cette élaboration, qui rend compte du pluriel à partir d’un repérage singulier, permet la construction d’une théorie bâtie sur l’idée que seul un savoir constitué oriente l’art du soignant. Dans le premier temps de l’enseignement de Lacan, la logique clinique prend appui sur celle du maître paranoïaque.
Ces repères rappelés en début de journée ont permis d’isoler ce qui se nomme psychose lacanienne. Il s’agissait de redonner toute sa dignité au terme de « fou » pour désigner l’homme libre : le sujet psychotique. Le second temps de l’enseignement de Lacan prend pour modèle non plus la forme schreberienne mais la schizophrénie de Joyce. C’est ce que Jacques-Alain Miller met en lumière avec ce qu’il appelle la « clinique ironique » : Lacan tire des conséquences de la schizophrénie. C’est la fin de la primauté donnée à l’ordre symbolique et l’ouverture vers l’invention du bricolage singulier, celle du sinthome, où le signifiant prend le statut de réel. Nous parlerons alors de forclusion généralisée. Cette orientation éclaire la présentation de deux cas de transsexualisme présentés en fin de journée par deux psychanalystes et psychiatres. L’éclairage clinique s’oriente non pas du transsexualisme comme catégorie normée mais ouvre à la question de la singularité pour chaque sujet.
La mise en tension psychiatrie/psychanalyse procède de la confrontation des expériences. Ce constat a orienté l’organisation même de cette journée de recherche : les interventions de psychiatres et de psychanalystes croisées sur un même cas ; des rencontres singulières empruntées à la clinique hospitalière ou en cabinet ; des élaborations de présentations de malade. Saisir la causalité psychique en jeu permet de rendre compte de la pathologie. Les discussions ont été riches autour de la singularité des prises en charge : la question diagnostique entre paranoïa et paranoïsation, le statut des hallucinations pour un sujet, de l’hypocondrie, le passage de la parole à l’écrit…
La vivacité des échanges témoigne de l’intérêt d’une clinique du un par un, au-delà d’une pensée universalisante, et signe la réussite de cette « mise en chantier » du nouage de la psychiatrie et de la psychanalyse. Ce débat est prometteur.
Sylvie Goumet et Françoise Haccoun,
avec le concours de Françoise Denan, Pierre Falicon, Dominique Pasco et Elisabeth Pontier.
Catégories :Concepts & Clinique, Psychoses 2015
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