Par F. Denan – Freud invente la psychanalyse à partir de sa rencontre avec la névrose alors psychiatrisée : c’est l’objet des Études sur l’hystérie rédigées en 1905 avec Breuer. Il cherche ensuite à légitimer la psychanalyse avec la clinique des psychoses en s’adressant aux psychiatres de son temps, à partir de leurs arguments à eux.
Dès 1894[1], Freud démontre le choix du sujet (« l’acte de volonté du malade ») dans l’émergence des symptômes contre l’idée de psychasthénie (ou faiblesse d’esprit) de Pierre Janet. Il développe un mécanisme commun aux névroses et à la paranoïa : la défense face à une « représentation inconciliable » appartenant au champ du sexuel. Dans la psychose, le moi rejette en même temps affect et représentation insupportable et « se comporte comme si la représentation n’était jamais parvenue jusqu’au moi ».
Les « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa » constituent le pendant clinique des élaborations théoriques préalables de Freud. L’article est adressé aux psychiatres[2] dès la mention Dementia paranoides de son titre. Freud poursuit en citant le Dr Weber – dont les attestations sont jointes par Schreber à son propre texte –, qui atteste de l’absence de « diminution notable de l’intelligence[3] ». Il réfute ainsi la caractérisation de la paranoïa par Kalbaum comme trouble de l’entendement.
Puis il balaye la question du surmenage intellectuel en soulignant que des signes avant-coureurs de la psychose de Schreber apparaissent avant sa prise de fonction[4]. Il bat ainsi en brèche l’étiologie décrite par les psychiatres : les psychoses ont une cause organique activée par un facteur actuel – ici, la fatigue intellectuelle. Il leur oppose une étiologie sexuelle en soulignant le fameux « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement », c’est-à-dire une « explosion de libido homosexuelle[5] » qui fera l’objet de l’élaboration du délire[6] : « Il était impossible à Schreber de se complaire dans le rôle d’une prostituée livrée à son médecin. Mais […] se donner à Dieu ne se heurte pas aux mêmes résistances[7]. » Il peut alors conclure : « Le trait distinctif de la paranoïa [n’est ni le fantasme ni le complexe paternel, mais le fait que] le malade, pour se défendre d’un fantasme de désir homosexuel, ait réagi précisément au moyen d’un délire de persécution[8]. »
Françoise Denan

Paranoïa, Kaelte.
[1] Freud, Sigmund, « Les psychonévroses de défense », Névrose, psychose et perversion, PUF, 1985.
[2] Schreber est cité par Jung et par Bleuler.
[3] Freud, Sigmund, « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Dementia paranoides) », Cinq psychanalyses, PUF, Paris, 2003, p. 267. Ce faisant, il redouble dans une mise en abyme la démarche de Schreber lui-même qui, s’adressant lui aussi aux psychiatres, fait de lui-même le portrait suivant, p. 264 : « cet homme d’un niveau intellectuel si élevé, possédant une acuité d’esprit et un don d’observation peu ordinaires »
[4] Ibid., p. 266, note 1.
[5] Ibid., p. 293.
[6] Cf. ibid., p. p. 283
[7] Ibid., p. 295
[8] Ibid., p. 305.
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