SC 2020. Brève – « Les folies raisonnantes – variété précoce » par Philippe Devesa

Philippe Devesa, participant à la Section clinique d’Aix-Marseille, psychologue clinicien, doctorant au département de psychanalyse de Paris VIII,  nous livre cette brève intitulée: « Les folies raisonnantes – variété précoce », poursuivant la réflexion engagée par Hervé Castanet dans son cours sur Jean-Jacques Rousseau

Je propose, à partir de l’intervention d’Hervé Castanet[1] sur le cas de Jean-Jacques Rousseau, de poursuivre la réflexion sur les variétés de paranoïa avec un cas clinique. En effet, comme le rappelle Serieux et Capgras « malgré l’invariabilité des caractères fondamentaux du délire d’interprétation, tous les cas ne sont pas calqués les uns sur les autres[2] ». En somme, nous pourrions poser qu’il n’y a pas une paranoïa mais des paranoïaques ; chaque sujet est singulier.

Abordons, par exemple, la variété dite « précoce » où le déclenchement se situerait vers l’âge de 20 ans mais dont les signes discrets d’interprétation colorent la vie du sujet dès sa tendre enfance.

Ces patients, à l’éveil sexuel avancé, nous disent les auteurs, témoignent d’un rapport au monde « soupçonneux » et la moindre réprimande leur est insupportable ; ils renient leurs parents, se disent « fils d’un prince, d’un Evêque ou d’un grand personnage[3] ».

L’Autre persécuteur et les idées ambitieuses sont pour Serieux et Capgras une cause de passage à l’acte contre les parents véritables ou présumés. Cette supposition délirante, ce « raisonnement faux[4] » repose sur une signification personnelle pour « le malade, invinciblement poussé à tout rapporter à lui[5] ».

Marie, 35 ans a été internée à l’hôpital de Saint-Anne (mars 1888) suite à un passage à l’acte avec arme à feu sur son père. Ce qui caractérise ce sujet est une mémoire excellente et un rapport à la dialectique « très serrée » ; elle rapporte avec soin les événements de sa vie. Pour Marie, le délire prend sa source dès son plus jeune âge ; à 5 ans, raconte-t-elle, elle fût frappée à la vue d’un évêque portant un regard soutenu en direction de sa mère, un regard qui le « pétrifia ». Mais ce n’est pas tout. Cet homme d’église a été assassiné, par la suite. Et l’homme accusé du meurtre se rendait régulièrement au domicile familial ; Interrogée par la police, on demande, à la mère si le jour du crime elle s’est absentée : sa réponse fût négative. Marie, quant à elle, répondra par l’affirmative ; son oncle, poursuit-elle, aurait dit : « nous sommes arrivés trop tard (…), il faut rendre à César ce qui appartient à César[6] ». Marie considère ces « indiscrétions » comme la preuve inébranlable qu’elle est la fille de l’évêque assassiné par sa mère. En effet, Serieux et Capgras démontre de façon exemplaire comment le délire trouve son acmé au fil des ans. La jouissance au lieu de l’Autre est clairement identifiée : sa mère veut « la faire mourir à petit feu » : La nuit, celle-ci vient guetter son sommeil. Marie raconte qu’à ses 19 ans, elle aurait déposé une plainte, contre sa mère, l’accusant de mauvais traitement ; elle portait « un couteau-poignard » et répétait inlassablement qu’elle le lui destinait.

Le monde lui fait également signe : on grimace partout où elle passe, on la regarde comme une « bête curieuse ». Si elle n’exprime aucun remord sur l’acte commis sur son père, elle parviendra, plusieurs fois, à s’échapper de l’asile. Ré-internée à chaque fois, son délire garde la même tonalité persécutrice.

En 1907, Marie est admise à Saint-Alban où elle témoigne inlassablement d’idées « ambitieuses », se considérant comme très supérieure aux malades qui l’entourent et, lorsqu’elle demande à changer d’établissement plus digne de son rang, le moindre refus étayé par son manque d’argent est balayé d’un revers de main, car dit-elle, elle est « la digne héritière de son père supposé évêque, peut-être même cardinal. »

Ponctuons : ce cas clinique démontre clairement la méchanceté de l’Autre dans la paranoïa, une méchanceté injuste puisqu’on cause du tort au sujet sans qu’il n’ait commis aucune faute.

Retenons la formule d’un célèbre psychiatre italien Tanzi cité par Lacan dans sa thèse de médecine : « le paranoïaque ne guérit pas, il désarme[7] ». Il désarme dans le sens où il peut parfois être résigné et mettre provisoirement l’arme au pied.

[1] Hervé Castanet., Cours sur Jean-Jacques Rousseau, https://www.youtube.com/watch?v=XrX7vcAOLkY&feature=youtu.be

[2] Paul Serieux, Joseph Capgras., Les folies raisonnantes. Le délire d’interprétation, Laffitte reprints, Marseille, 1982, p. 153

[3] Ibid., p. 154

[4] Ibid., p. 3

[5] Ibid.

[6] Ibid., p. 156

[7] Jacques Lacan., De la psychose paranoïaque dans ses rapports à la personnalité, Seuil, Paris, 1975, p. 87

 

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