Par Isabelle Bezard Fragiacomo. Samedi 5 octobre 2019, Un Bon petit diable groupe CEREDA de Gap organisait avec le Bureau de ville Gap-Manosque de l’ACF MAP une journée de travail sur le thème de la différence sexuelle qui anime actuellement l’Institut de l’Enfant, avec Bénédicte Jullien, psychanalyste à Paris, membre l’ECF et de l’AMP, et Analyste de l’Ecole en exercice.
Différences et coupures
Bénédicte Jullien a proposé que sa conférence porte sur la rencontre amoureuse à partir de la fin du texte d’orientation de Marie-Hélène Brousse[i] qui interroge le lien entre l’amour et la différence sexuelle et ouvre sur « la possibilité d’un troisième sexe » (Lacan, 1978). Bénédicte Jullien a proposé un autre chiffrage : « Le chiffre de l’amour. Ils sont hors deux » (Lacan, Séminaire XXI). Avec Clara, 12 ans qui avait déclaré à Elsa Lamberty, qu’elle était « en couple » et qu’elle avait son copain « dans la peau », la discussion lors de l’atelier clinique du matin a fait valoir que la question pour Clara, est plutôt ‘comment ne pas faire un’. Bénédicte Jullien a souligné la délicatesse nécessaire pour permettre un déplacement de la coupure que Clara fait sur son propre corps, à la coupure des séances. Comment accompagner cette adolescente qui a un rapport au manque très peu constitué, à approcher un peu le trou où on ne peut pas dire dans le langage ce qu’est une femme. L’Autre aurait besoin d’elle tout le temps, Clara est plus du côté de l’exception que de la différence. Claude, la deuxième adolescente dont nous avons parlé lors de l’atelier clinique, est reçue par Sylvie Dagnino, à qui elle a déclaré « je suis homosexuelle ». Bénédicte Jullien a mis en lumière qu’il ne s’agit pas d’un choix d’objet mais que Claude essaie de nommer quelque chose avec ce signifiant attrapé chez sa mère, et qui est devenu un impératif, une holophrase qui ne vient pas agrafer son corps. Le statut de cette jeune fille dans le désir de l’Autre interroge. Le symptôme anorexique était une petite solution qu’elle avait trouvée pour se séparer du désir incestueux de son frère. Comment ouvrir son champ signifiant pour que Claude ne soit pas obligée d’en passer par des atteintes à son corps pour se séparer de l’Autre ? La troisième situation clinique, celle de Lucie, se déroule dans un lieu de vie. Elle est proposée par Claudine Boiteux, Lucile Nivelle et Agathe Souchard. Avec les éclairages de Bénédicte Jullien, nous avons pu repérer que Lucie, qui a toujours été éjectée, ne cesse de s’effacer, de rejouer la scène de l’exclusion et du rejet. Ce traitement qu’elle a mis en place pour se défendre de l’Autre est à respecter. Il n’y a pas à faire une place à Lucie mais à lui permettre de mettre au travail cet effacement pour qu’elle trouve à aménager un espace entre elle et l’Autre. Il s’agit d’introduire de la différence. La question de la différence sexuelle viendra plus tard. Le dernier cas de la matinée, fut celui de N., qui est reçu par Martine Revel. N. s’appuie sur la différence sexuelle garçons-filles pour déplacer à l’extérieur sa discordance interne entre homme et bête. Mais cette construction du monde le pousse à toucher toutes les filles, même s’il tente de s’exclure de cette différence, comme « chien de garde » des filles. Le travail d’écriture en séance vient localiser la jouissance qui l’envahit et N. n’a plus touché une fille. Bénédicte Jullien nous rappelle que la différence où opère le psychanalyste, c’est celle entre parole et écriture.
« Hors deux »
Revenons à cette affirmation de Lacan « Le chiffre de l’amour. Ils sont hors deux » que j’ai extraite de la conférence très vivante de Bénédicte Jullien. Elle a parlé de l’amour sur les versants imaginaires, symboliques et réels. Reprenant une phrase de Jacques-Alain Miller « Dans l’analyse, ce qui se découvre, c’est que votre vrai partenaire c’est toujours ce qui vous est impossible à supporter »[ii], Bénédicte Jullien précise que cet « au-delà du principe de plaisir » (Freud), objet ignoré du sujet, est à l’œuvre dans la rencontre amoureuse. Elle ajoute : « C’est pour ça qu’on peut rester avec un partenaire, alors que rien ne va plus, que l’on souffre beaucoup. L’amour voile ce petit rien qui nous attache à l’autre, et l’on croit que c’est l’amour qui nous fait rester ». Ce propos n’a pas manqué de retenir notre attention, alors que le Bureau de ville Gap-Manosque de l’ACF-MAP prépare une Journée d’étude sur « la violence faite aux femmes » le 30 novembre 2019 à Gap. Hors deux n’implique pas trois, « il s’agit plutôt de ce qui est entre, le manque, l’objet, la jouissance, la langue, voire le réel » complète Bénédicte Jullien. Pour la petite Juliette, qui a peur dans le noir d’une présence qui ne se voit pas, il lui faut un autre qu’on voit. Mais alors qu’elle se plaint de la solitude, elle ne peut aimer un autre trop présent. En effet elle est attachée à la jouissance d’être l’unique et sa peur du noir lui assure une place dans le lit parental, garantie qu’elle restera leur unique enfant. Sa solution amoureuse sera d’avoir plusieurs amoureux, pour ne jamais être seule, et rester unique, à n’être jamais avec le même. Dans la suite de sa conférence, Bénédicte Jullien a repris des éléments de son témoignage de passe : « j’avais mis un rien entre moi et l’autre pour me dégager de cette pente à me mettre au service de l’Autre ». Au-delà de cet objet rien, un attachement au silence de l’attente de l’absent, « attendre rien », s’est dévoilé pour elle dans l’analyse, avec ses effets de ravissement. Un illimité qui détruit. Mais le travail de l’analyse a permis des effets de rebroussement. « Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je ne vois que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie ». L’amour de la langue sera un nouvel amour.
L’illimité de la jouissance féminine
Lors de la discussion vive et joyeuse avec le public touché par le vivant de ce témoignage, Bénédicte Jullien a pu préciser qu’un aspect de la partition entre les hommes et les femmes est pris dans la langue, un autre l’excède. Le rapport à l’illimité de la jouissance féminine c’est l’au-delà de la langue. Quel consentement à ce que la langue ne puisse tout dire, à être exilé de cette identité sexuée ? On n’abandonne jamais cet insupportable qui attache et détruit. Mais on peut le cerner et s’en faire partenaire, le mettre au service de notre désir.
[i] « Le trou noir de la différence sexuelle »
[ii] Lire sur le site de l’Ecole de la Cause freudienne : Jacques-Alain Miller : « Certains problèmes de couple »
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