En préparation du Colloque Psychiatrie- Psychanalyse des 26-27 septembre, Patrick Roux, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne, de l’Association Mondiale de psychanalyse et enseignant à la Section clinique d’Aix-Marseille nous propose ce texte inédit, publié dans le numéro spécial de l’hebdo du Colloque consacré l’A.D.I.R. (Association pour le Développement des Institutions de recours )
Comment caractériser un accueil en institution, orienté à partir de la psychanalyse ; comment penser cette fonction de telle sorte qu’elle facilite l’entrée de l’enfant. Après trois points de repère, je m’appuierai sur une vignette clinique.
Le lieu et le lien
Il y a les règles sociales de l’accueil qui valent pour toutes les institutions mais ce qui spécifie l’accueil pour nous, est qu’il doit être particularisé. Dès la rencontre, nous cherchons à saisir quelque chose de la singularité. Nous distinguons donc le lieu et le lien. Il est important de différencier le moment où l’on accueille l’enfant dans nos murs et le moment où il consent à s’impliquer. La partie ne commence vraiment que lorsque l’enfant se saisit du dispositif qui lui est offert. Il en va de même pour l’entrée en analyse. Il s’agit de l’entrée dans un nouveau discours[1]. Ainsi, il arrive qu’il se produise une sorte d’inflation des signes de psychose peu après l’admission. Cela ne signifie forcément pas que l’enfant va plus mal mais peut-être tout simplement qu’il s’autorise à exprimer des choses qu’il réprimait dans un milieu normalisant, car la manière dont l’institution accueille le hors-norme a des effets réels : voir le symptôme comme une tentative de guérison ou comme un dysfonctionnement, c’est différent.
Qu’est-ce que nous accueillons ? En première approximation, disons que nous accueillons la souffrance psychique ; c’est important de le rappeler à un moment où l’on voudrait se passer des institutions spécialisées. Car, nier le symptôme, c’est dénier l’être même du sujet, en rajouter sur sa souffrance. On le vérifie auprès des enfants que l’on a maintenus trop longtemps à l’école. Par conséquent, nous pouvons dire aussi que nous accueillons l’insupportable – celui de la famille, des enseignants mais aussi celui du sujet.
Pour qu’un enfant puisse se « laisser être » et trouver un certain apaisement, l’institution doit se déprendre de trop de savoir, de trop vouloir, a priori. C’est ce que Freud appelait la « neutralité bienveillante ». Cela ne signifie pas qu’on laisse faire n’importe quoi. Nous proposons un accueil dénué de toute volonté de normaliser et sans préjuger de l’usage que l’enfant fera de l’institution. Que vise-t-on en suspendant le savoir ? Nous cherchons à laisser surgir l’Autre auquel l’enfant s’affronte. Quand l’enfant n’est pas à même de réguler la jouissance, l’Autre devient pour lui potentiellement tyrannique. L’Autre, c’est à dire tous les partenaires qu’il croise. C’est pourquoi nous faisons en sorte que l’enfant n’ait pas à se défendre contre nos énoncés et injonctions. Je reprends maintenant ces quelques points à partir d’un exemple clinique. Il y a eu plusieurs temps logiques dans le processus d’accueil. Chacun a été suivi d’un changement dans le régime d’internat.
1/ Prélever un détail
Pendant l’entretien d’admission William, un garçon de 12 ans, me demande répétitivement s’il y a des tortues Ninja, par ici. Pourquoi n’en voit-il pas ? Etc. Ces questions rendent impossible tout dialogue avec la famille. Le serinage ne cesse que lorsque je suppose qu’il désigne par-là ses petits autres. Je dis alors « Elles ne vont pas tarder ; elles arrivent vers 16:30 ». Il se calme alors et se met, comme moi, à l’écoute. Si cette hypothèse est juste, W. nous dit quelque chose sur son double et donc sur son identification : n’est-il pas lui aussi un personnage de bande dessinée[2] ? Mais le mot tortue permet d’embrayer sur son histoire. À son arrivée chez M. et Mme M. cet enfant présentait tous les signes de l’autisme[3]. Il ne s’apaisait qu’en se tenant au contact d’objets ronds ou en dessinant des spirales. De là, il est passé à un intérêt exclusif pour les escargots que Me M., bien inspirée, lui a permis d’élever. Puis, son obsession s’est déplacée sur les tortues dont il cassait parfois la carapace. L’intérêt a ensuite migré vers les coquillages et enfin sur les boites aux lettres. Ces bricolages l’ont suffisamment soutenu pour que W. puisse apprendre à lire, à écrire. Je retiens que l’enfant cherche à prélever sur le lieu d’accueil – comme souvent – un petit détail important dans sa vie. Lorsqu’il est saisi et arrimé, ce détail produit une rencontre et ouvre un champ de travail possible.
2/ Accueillir le traumatisme
Pendant les séances, W. se livre à une intense activité de dessin et d’écriture. Il lance des questions, sans lever la tête de la feuille, qui témoignent de sa perplexité : Pourquoi y a toujours de la neige sur les cimes ? Pourquoi les nuits sont longues ? Puis vient celle-ci, pas plus chargée d’affect que les autres et qui aurait pu passer inaperçue : Pourquoi, quand on verse de l’eau, ça brûle ? Or, elle se réfère à un événement qui a fait coupure dans sa vie. W. a été victime, à deux ans, d’une brûlure sur tout le corps due à une maladresse de la mère. Ce qui a entraîné un placement sous tutelle d’état – et sous secret[4]. Il est donc en famille d’accueil depuis l’âge de trois ans. J’ai répondu à W. en reprenant cette histoire : combien cet épisode avait dû être dur pour lui ; personne ne pouvait le prendre dans ses bras. Il a dû, se sentir tout seul, abandonné, etc. W. m’a regardé longuement et a pleuré en silence. Je retiens de ce moment que si le lieu est fait pour durer, le lien lui, est fragile et à construire à chaque admission. C’est d’autant plus important dans la psychose où le lien social doit être inventé de toute pièce par le sujet.
3/ Le sujet trouve son usage de l’institution
Pendant des mois, le seul mode de défense possible pour W. est le passage à l’acte. Dès son arrivée, il élit un persécuteur et le pousse à bout jusqu’au clash. C’est sa manière de localiser la jouissance et de s’en séparer. Il était urgent de diversifier les modes de traduction de ce qui le déborde. Dans cette recherche, un événement a été décisif. Un jour, W. se plaint à une éducatrice qu’un enfant « le fixe ». Quand elle lui conseille de ne pas le regarder, il l’agresse violemment. Nous en déduisons que, subjectivement, W. est regardé. Cela ne vient pas du dehors. Nous devons le protéger du regard et non le mettre à sa charge. Il est sensible au fait que nous le protégions – lui l’agresseur. Il s’appuie désormais sur son éducatrice au point de lui confier « qu’il a des choses étranges dans la tête », ce dont il ne s’est jamais ouvert. Notamment, un singe méchant lui ordonne de taper. Il montre par-là, qu’il consent à recourir à l’Autre. Ce sera l’un des éléments qui marquent son entrée en institution. Il se laisse accueillir, en somme – ce que nous entérinons en lui proposant de passer des week-ends à l’internat.
4/ Trouver sa langue
L’institution que nous avons tous en commun, la plus universelle, c’est le langage. C’est donc dans ce champ là que nous avons aussi à faire l’effort d’accueillir les bizarreries et trouvailles de l’enfant. Nous pouvons en faire un matériau, sachant que pour certains enfants, il y a un refus radical du langage. Ils refusent de loger dans la langue l’en-trop de jouissance. Pour W., en effet, certains mots sont toujours brûlants. Là encore, c’est un incident qui a permis une avancée clinique.
Un soir où il se livrait à son activité favorite : harceler un enfant, une maîtresse de maison exaspérée, a lui lancé à W. un stop it énergique. Au grand étonnement de tous, W. s’est arrêté net, comme figé par l’étrangeté de la formule. À une autre occasion, il se montre intrigué, voire intéressé, lorsqu’une éducatrice s’adresse à lui avec une expression à la limite du néologisme : « W. est-ce que tu fais la boude ? » Il est sorti de son silence mauvais, pour en savoir plus. Nous avons donc introduit des formules un peu décalées dans notre façon de nous adresser à lui. La famille d’accueil, qui s’était toujours retenue de lui parler en italien (leur langue d’origine) par souci de bien faire, s’est associée à ce travail. Elle a introduit des moments de conversation en italien et a remarqué également une pacification chez W.
La réunion clinique est ici capitale en servant à chaque membre de l’équipe de creuset où trouver la parole juste à dire à l’enfant et être ainsi davantage en mesure de se faire écouter. Il s’agit de créer un lieu où l’on parle de l’enfant pour lui offrir la possibilité de se faire l’effet de ce discours.
[1] Pas seulement l’entrée dans un cabinet d’analyste.
[2] Cf. Le Président Schreber qui vivait dans un monde « d’ombres d’hommes bâtis à la six-quatre-deux », c.à.d, un univers qui n’est pas humain.
[3] Hurlements, morsures, mutisme, tyrannies…
[4] Sous secret car la mère, accusée de mauvais traitements, a tenté d’enlever son fils, à l’hôpital.
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