SC. Colloque 2019 – Interview – Nicolas Boileau

Nicolas Boileau est agrégé d’anglais et Maître de conférences en littérature britannique à l’Université d’Aix-Marseille où il enseigne la littérature des XXème et XXIème siècles et dirige un groupe de recherche sur les résistances des femmes aux féminismes qui a obtenu le label A*MIDEX « pépinières d’excellence ». Il est participant à la section clinique d’Aix-Marseille.Il répond à Elisabeth Pontier, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’association Mondiale de psychanalyse, enseignante à la Section clinique d’Aix-Marseille.

Qu’est-ce qui dans l’enseignement de Lacan vous sert de boussole au quotidien dans votre pratique?

Pourquoi la littérature aurait-elle besoin de la psychanalyse pour lire les textes ? Interpréter, analyser, entendre, sont-ils des termes équivalents dans les deux disciplines et autorisent-ils des rapprochements entre elles ? Certains littéraires, formés dans les années 1970-80, se souviennent avec sarcasme des dérives de la critique psychanalytique qui se pratiquait alors, prenant appui sur des symboles invariants puisés dans les études de cas freudiennes ou jungiennes. On pourrait parler d’un forçage interprétatif du côté du sens. À cette époque, la critique littéraire s’empare de la psychanalyse comme d’un champ de pensée univoque et monolithique, détaché de la clinique, et croit pouvoir trouver chez tout un chacun les mêmes coordonnées. La critique littéraire ne s’intéresse pas aux avancées théoriques que la clinique entraîne, aux questions de la psychose et de l’angoisse en particulier. D’autres collègues littéraires ignorent aujourd’hui jusqu’à l’existence de la psychanalyse, sinon dans les signifiants qui ont irrigué le discours commun : complexe d’Œdipe, inconscient, désir, talking cure. Ce que je dégage de l’enseignement de Lacan dans l’analyse des textes, c’est l’idée que le texte est porteur d’un savoir sur l’inconscient, dans le sens où il procède d’une tentative de nouage qui a à voir avec la jouissance et le réel. Poser ce principe de lecture, dont Lacan a su montrer lui-même la voie dans ses analyses de Shakespeare, de Joyce, ou de Duras, à l’instar des exemples que Freud puisait dans la littérature, notamment classique, c’est analyser le texte au-delà de la question stylistique qui vise à démultiplier ou déplier les effets de sens. Il ne s’agit pas de pouvoir affirmer sans ambages ce que le texte dit. Il s’agit plutôt de l’interpréter à l’aune de ce qui se joue dans la rencontre de l’expérience vécue, du langage, de l’adresse au lecteur et de la jouissance insue qui se dégage de cette rencontre. Puisque j’ai commencé par m’intéresser à la littérature du sujet, l’autobiographie, cette rencontre était essentielle. Mon travail est donc double. D’une part, il faut faire connaître le deuxième et dernier Lacan dans les cercles littéraires où il n’est plus enseigné, ni même connu : cet enseignement a dérouté les critiques qui ont un abord imaginaire des textes et l’influence globalisante de la recherche a orienté l’analyse des textes vers des questions sociales ou politiques plus qu’esthétiques. De plus, la critique anglophone avec laquelle je dialogue n’a pas accès aux séminaires de Lacan car les signifiants de son enseignement peinent à trouver des traductions adéquates, une faiblesse que j’essaie de réparer en traduisant vers l’anglais les textes de la revue internationale de la NLS, The Lacanian Review. D’autre part, je me sers de l’enseignement de Lacan pour interpréter les textes dans ce qu’ils nous enseignent, pour chaque auteur, d’une modalité de jouissance que le texte essaie de cerner. Dans une monographie à paraître en anglais, je propose de lire les textes autobiographiques de trois écrivaines, Virginia Woolf, Sylvia Plath et Rachel Cusk, comme témoignant de l’impossible rapport sexuel qui ouvre la voie au dernier enseignement de Lacan. Il s’agit de déceler la trace de cet impossible dans les textes eux-mêmes pour aboutir à une définition toute neuve de l’autobiographie qui ne partirait pas de l’identité supposée entre un auteur et l’être de fiction qu’il écrit (ce qu’en narratologie on appellerait auteur, narrateur et personnage), mais inscrirait en son sein la fragilité du sujet aux prises avec la jouissance et la langue, ce qui constitue in fine le témoignage de son existence.

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