SC. Colloque 2019 – Interview – Corinne Duboscq

Corinne Duboscq, cadre supérieur de santé, participante à la section clinique d ‘Aix-Marseille, a répondu à la question que lui posait Élisabeth Pontier, enseignante de la section clinique d’Aix-Marseille: Vous avez l’expérience d’une présentation de malade dans un secteur psychiatrique. Quel est selon vous son intérêt ?

SUR LE BANC DE L’ECOLE

Lorsque j’ai pris mon 1er poste de cadre supérieur, j’ai été informée que le service suivait l’enseignement de la Section Clinique en acceptant que se tiennent des présentations de patients. À l’époque, je n’avais jamais eu l’occasion d’assister à un tel dispositif. De la présentation de patient, je connaissais ce qui m’en avait été dit lors de mes études d’infirmière et ce que certains anciens m’avaient raconté au début de ma carrière. J’en avais une image essentiellement construite avec le célèbre tableau de André Brouillet et avec ce qui pouvait en être dépeint dans les films. Cela me laissait dubitative et pour tout dire, carrément méfiante. A priori, je ne voyais pas l’intérêt de participer et donc de cautionner ce qui me paraissait – oserais-je le mot ? – méprisant pour les patients : les montrer, comme des bêtes de foire, à une société, fût-elle savante, heurtait mes valeurs de soignante.

Malgré tout, mue à la fois par la curiosité et par la nécessité, en tant que responsable infirmière d’avoir à me positionner vis-à-vis de ce dispositif, j’ai décidé d’aller voir de quoi il retournait vraiment. La première chose que j’ai vue, c’est l’extrême délicatesse avec laquelle le psychanalyste accueillait le patient et l’invitait à prendre place non pas sur scène comme je le craignais, mais dans l’espace intime d’un tête-à-tête où les autres finissent par disparaître. Je suis, depuis, à chaque fois surprise de sentir, presque de voir, se constituer peu à peu une sorte de bulle autour de ces deux-là, qui les isole de l’assistance et invite celle-ci au silence et à l’écoute : dans cette bulle en effet, le patient livre l’expérience de sa souffrance singulière et les moyens qu’il utilise pour s’en défendre. C’est émouvant ou inquiétant ou dérangeant. Bref, c’est touchant.

Touchés, la plupart des participants avec lesquels j’ai échangé le sont. Par les dires des patients bien sûr. Mais cela n’explique pas le malaise souvent décrit face à l’authenticité de ces dires dévoilés en public. Ce qui est touché au fond, n’est-ce pas cette position de voyeur dans laquelle semble nous contraindre le dispositif : immobiles et muets, les assistants sont priés de se faire oublier. Ça marche puisque la bulle se forme. N’empêche, on est là. Et on voit, avec les yeux, avec les oreilles. On voit un semblable se mettre à nu en public et être livré aux regards, dont le nôtre. Comment accepter cela ? Comment accepter de participer à l’humiliation du patient que l’on a peut-être été ou que l’on a peut-être vu quand le grand patron entre dans la chambre, suivi d’une kyrielle d’étudiants et dévoile d’un revers de drap l’intimité d’un malade atterré aux yeux de tous ?

L’immense intérêt pédagogique que j’ai spontanément perçu n’était pas suffisant pour me rassurer totalement. Une sorte de gêne persistait. Ce qui m’a aidée à connecter définitivement cette pratique à mes valeurs, c’est une formule proposée par une enseignante de la section clinique : « à la présentation de patient, on est à l’école du patient. »

Oui, c’était ça : on n’est pas au spectacle. Le patient n’est pas une femme à barbe ou un homme à deux têtes. Il n’est pas non plus la fracture de la chambre 4 ou l’AVC de la 11. Il est un être humain, comme nous. Mais lui, il peut nous enseigner les vicissitudes de l’âme. Il les sait, bien plus profondément que nous. C’est lui qui a ce savoir. Pas nous, qui portons pourtant la blouse blanche. Pour moi, la présentation de patients met en lumière cet élément essentiel du soin : pour être soignant, il faut aussi consentir à inverser la relation de dépendance instaurée par la maladie. La présentation rend les patients acteurs et moteurs de notre formation. Ils nous enseignent. À ce titre, nous leur sommes infiniment redevables de nous faire l’honneur de participer aux présentations.

Je m ‘inscris au colloque  

 



Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse