CEREDA GAP. Retour sur la journée de travail avec Elisabeth Leclerc-Razavet

Par Isabelle Fragiacomo – Le groupe CEREDA Un bon petit diable avait invité Elisabeth Leclerc-Razavet à Gap le 7 octobre 2017 pour prolonger le travail effectué en lien avec la Journée de l’Institut de l’Enfant « Après l’enfance » en mars, avec les éclairages de l’ouvrage qu’elle a dirigé avec Georges Haberberg et Dominique Wintrebert L’enfant et la féminité de sa mère (L’Harmattan, 2015).

Le matin, Elisabeth Leclerc-Razavet a présidé l’atelier clinique annuel d’Un bon petit diable avec le concours de Jacques Ruff, extime du groupe. L’après-midi sa conférence a rassemblé une quarantaine de participants.

Faire avec le réel de la féminité

Pour l’atelier clinique sept psychologues exerçant auprès d’enfants ou d’adolescents étaient invités à discuter des trois travaux cliniques issus des séances de travail du groupe en 2016-2017. Dans chaque texte, une jeune fille et son rapport à la féminité, avec ces questions : Comment, dans la rencontre avec le praticien, s’était s’appréhendé la dimension de réel — trou — de la féminité ? Comment le travail engagé avec chacune avait-il permis que la dimension du manque inhérente au symbolique fasse coupure dans la jouissance, afin de faire avec ce trou ?

La jeune fille anorexique dont nous a parlé Sylvie Dagnino avait choisi de traiter le réel de la féminité sans en passer par le phallus. Elle avait choisi le rien qui fait signe direct du réel de la féminité, sans en passer par l’Autre. Là où la jeune fille choisissait de faire sans le signifiant, l’introduction de la proposition d’écriture a permis, grâce au désir décidé de Sylvie, qu’elle consente à l’Autre. Dans l’articulation entre écriture et consentement à la castration féminine, une sortie de la jouissance de l’anorexie est amorcée. Un bord se construit qui cerne le trou du réel de la féminité.

Les parents de la jeune fille, dont nous a parlé Lisiane Girard, se sont exonérés de payer le prix de la castration. Ils sont sans parole pour traiter le drame de la mort d’un enfant qui a fait trou, et les a laissés figés et horrifiés. Comment opérer une coupure dans cette jouissance où l’adolescente est prisonnière ? Son rapport à la parole s’est défait, elle est désarrimée de tout désir. Dans ce silence de mort des parents, elle fait appel à l’Autre, à son regard : si je disparais, est-ce que je manquerai à l’Autre ? Ce cas permet d’apercevoir comment le trou laissé par la mort ne lui permet pas d’aborder la question de sa féminité. L’offre de parole de Lisiane permet à la jeune fille de renouer avec la parole et le désir, au point où elle offre un rêve — le premier — au praticien, juste après que celle-ci lui ait annoncé son départ de l’institution. 

Avec la troisième jeune fille dont nous a parlé Elsa Lamberty, nous avons découvert, comment la direction du travail par le praticien lui a permis d’approcher ce point du trou de la féminité, point d’horreur où les mots manquent à dire. Dans le travail engagé avec Elsa, cette jeune fille ose aller jusqu’à supporter que ‘ça se sente’[1], à supporter l’affect de solitude. Elle qui était au bord du gouffre maternel, consent à perdre son premier objet d’amour, la mère, objet toujours perdu d’avance, mais qui pour autant, ne veut pas être perdu.

Cet atelier fut l’occasion de redécouvrir la pertinence du tableau de la sexuation proposé par Lacan dans le Séminaire Encore et repris dans L’enfant et la féminité de sa mère (p125). Au fil des cas cliniques exposés, sont apparus de façon très enseignante les enjeux de cette conjonction-disjonction, où une femme a rapport d’une part avec le phallus via un homme (et donc avec le manque, marque de la dimension symbolique) et d’autre part avec le point radicalement Autre de l’Autre. Ce point est un trou, non un manque. C’est la marque du réel. Il n’y a pas de signifiant pour dire La femme.

Une femme, ma mère ?

Avec ce titre pour sa conférence, Elisabeth Leclerc-Razavet a fait d’emblée entendre qu’entre la mère, celle qui a, et la femme, celle qui n’a pas, un point radicalement étranger à la maternité divise les femmes. Dans cette disjonction entre castration maternelle et jouissance féminine, comment se débrouille l’enfant  avec le manque maternel qu’il peut être appelé à combler ? Celui qui est en place de partenaire de la mère — le père classiquement — fait-il d’elle la cause de son désir ? Prive-t-il la mère de la jouissance de l’enfant ? La mère peut-elle consentir à être manquante ? Quel savoir un enfant peut-il construire avec un analyste pour trouver à traiter ce qu’il aperçoit de l’illimité de la jouissance féminine ?

Elisabeth Leclerc-Razavet a repris deux cas du livre. Celui de Rose (présenté dans l’ouvrage par Ariane Oger, p131) et celui d’Eve (présenté dans l’ouvrage par Georges Haberberg, p111), deux fillettes qui mettent un sacré charivari dans la maison. Qu’est-ce qu’on fait dans un lit quand on n’y fait pas que dormir ? On s’y étreint. Rose, au travail de se défendre de satisfaire la mère, fait entendre sa colère quand on ne s’y étreint plus. Quant à Eve, regardée par ce qui se passe dans le lit de ses parents, elle est traumatisée par sa rencontre avec la jouissance de la mère. Ses cauchemars la réveillent et elle réveille toute la maison, comme pour empêcher qu’on s’étreigne. Ariane Oger interprète à la mère de Rose que si Rose se présente comme l’enfant qui veut tout et tout de suite, c’est qu’elle-même lui en demande trop. Ce renversement ouvre la possibilité à l’enfant de faire un travail où elle élabore en séance le manque maternel. Quant à Eve, avec son analyste, elle cerne les entours du trou, par un travail très précis de chiffrage. Vous pourrez lire le développement des cas et leur commentaire dans L’enfant et la féminité de sa mère. Prenez aussi le temps de lire les autres cas, tous très enseignants !

I. F.

[1] « Ça se sent, et une fois senti, ça se démontre », Lacan,  « Joyce le Symptôme », Autres Écrits, Le Seuil, Paris, 2001, p. 565-566

 



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