Par Joëlle Tavernier. Le divan du monde, premier film de Swen de Pauw, est sorti en salle le 16 mars 2016. Sa présentation dans le cadre du FID[1] à Marseille nous a donné l’opportunité d’un entretien. Swen de Pauw, réalisateur, directeur de la photographie et ingénieur du son, s’est accordé dix ans pour le réaliser. Il lui a fallu ce temps pour trouver comment traiter ce qui lui tient à cœur : faire entendre la voix de ceux à qui l’on « confisque la parole » et qu’il désigne comme des « loosers ». Selon lui, ce sont eux les « winners » car, souligne-t-il, leur combat quotidien pour exister fait d’eux des « survivants ». Avec Le divan du monde, Il leur propose une « tribune » pour s’exprimer.
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Ces loosers-winners-survivants, Swen de Pauw n’en parle jamais comme de patients, pourtant c’est dans le cabinet du psychiatre qu’il va les chercher et les trouver. Il a choisi un praticien strasbourgeois, puis il a identifié parmi les patients volontaires ceux qui pouvaient se prêter au jeu de la caméra.
Le cinéaste met en place un dispositif spécifique et singulier, qui le rend à la fois absent et présent : trois caméras fixes et visibles – « pour que les patients n’oublient pas qu’on les filme » –, l’une face au psychiatre, l’autre face au patient et la troisième de biais pour les portraits en gros plan. Le public est averti, il y a toujours un cameraman dans la pièce au moment du tournage. Si les patients sont naturels, c’est qu’ils sont pris par leur histoire de vie.
Pour Swen de Pauw, le voyeurisme se définit par « le fait de regarder quelqu’un à son insu ». Ici, pour lui, la dimension de voyeur s’élude par le fait que les personnes filmées ont donné leur accord avant et après le tournage.
Swen de Pauw n’apparaît pas dans le film. Son regard se veut distancié ; il ne souhaite pas faire entendre de point de vue particulier, si ce n’est celui du témoin. Il ne questionne pas, n’intervient pas, ne commente pas, mais il observe et écoute les histoires : « J’adore les raconteurs d’histoire, ça me fait partir. »
Il met à l’honneur un psychiatre, dont il estime la dimension d’écoute et de répartie. Nous suivons, avec lui, pas à pas, le parcours de ceux qu’il appelle ses « héros » : « A un moment, j’étais pris dans les histoires, comme des épisodes, j’attendais la suite. »
Le réalisateur a pu filmer une trentaine de patients, rencontrés dans la salle d’attente, lieu de convivialité. Au final, il en a retenu sept. L’artiste a fait une sélection au montage, pour créer, avec les « meilleures histoires de vie », un film « autonome », qu’il oppose à ce qui est, d’après lui, appelé classiquement film documentaire.
Pour Swen de Pauw, entendre les patients parler de leurs parcours permet de comprendre pourquoi ils en sont arrivés là, tant « ils ont de vraies explications sur leur situation ». Il lui importe de « donner la parole », afin d’entendre, de ceux qui la prennent, ce qui est leur vérité.
D’après lui, leur trajectoire de vie justifie, à elle-seule, leurs échecs, de telle sorte, qu’on ne peut que « les excuser d’en être arrivé là ». Cela les rend plus « attachants » encore. Plongé au cœur de la souffrance psychique, Swen de Pauw ajoute cependant : « Je comprends maintenant pourquoi les psychiatres tiennent le coup, c’est parce que les patients ne vont pas toujours mal ! »
Grâce au concours du praticien, le réalisateur tente de réhabiliter la parole de ceux à qui on la confisque pour faire entendre leur point de vue sur le monde. Ce faisant, il fait entendre une thématique: « Y a-t-il une fatalité à être un looser ou à se sentir exclu ? », sous-tendue par cette autre : « Comment trouver sa place dans le monde quand on se sent différent ou en marge ? »
Entrer dans le cabinet d’un psy, n’est-ce pas une manière discrète et subtile de tenter d’apporter à ces questions une réponse singulière ? Tout en revendiquant le « bon usage » du RSA[2], Swen de Pauw répond, lui, par un acte de créativité et soutient son film, corps présent, lors des festivals où il va à la rencontre de son public. A sa manière, il fait de la parole des opprimés un acte de revendication militant.
Joëlle Tavernier
[1] Festival International de Cinéma de Marseille
[2] Revenu Social d’Activité
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