AMP. Rio 2016 – « Ecoutons la musique de lalangue »

Par M. Novaes – « Le corps parlant – Sur l’inconscient au XXIe siècle ». Voici le titre du Xe Congrès de l’Association mondiale de psychanalyse, qui a eu lieu fin avril à Rio de Janeiro, Brésil. « Ecoutons la musique de lalangue », ainsi nous invite Miquel Bassols, président de l’AMP, lors de l’ouverture. Car lalangue n’est pas du registre de l’apprentissage ni de la linguistique ; ni une fonction cognitive ni biologique. Parler n’est pas naturel. Cela s’appréhende, se transmet, dans ses résonances. C’est ce que nous a fait entendre Miquel Bassols, suivant le fil proposé par Jacques-Alain Miller nous orientant vers le parlêtre, syntagme du tout dernier enseignement de Lacan, pour rendre compte de l’inconscient au XXIe siècle.

Jacques-Alain Miller au Xe congrès de l’AMP.

Ecoutons la musique de lalangue, car c’est lalangue qui fait exister le sujet en tant que corps parlant ; qui dans sa singularité résonne et qui rend singulier le sens et le manque de sens. Un corps parlant parle de ce qui parle en lui, souvent en silence. Miquel Bassols, donnant le ton du fil à suivre au long du Congrès, donne corps à sa démonstration en évoquant l’expérience de John Cage dans la chambre anéchoïque, entre bruit et son, intervalle qui est aussi indice précis d’un sujet qui entend.

Pour appréhender ce qu’est le corps parlant, il nous invite partir de la singularité des effets du langage dans le corps pour reconstruire lalangue qui l’habite, intraduisible, translinguistique, portant les traces de la jouissance pulsionnelle de chaque sujet. Ecouter la musique de lalangue, car il s’agit, pour Miquel Bassols, d’écouter au-delà du sens, l’écho du dire dans le corps.

La rumeur de lalangue et ses résonnances

Marcus André Vieira, directeur du Xe congrès de l’AMP, nous oriente aussi vers ce qui du corps parlant ne parle pas forcément, vers ce paradoxe qui consiste à faire une place à ce qui du parlant n’a pas de parole.

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Marcus André Vieira, directeur du Xe congrès de l’AMP.

Cela se matérialise non seulement sous la forme du silence mais aussi, et surtout, dans ce « quelque chose entre le silence et le bruit » qu’évoque Arnaldo Antunes. Ce poète brésilien cité par Marcus André Vieira, dans la concrétude de sa poésie, inclut remarquablement dans le dit les résonnances du dire dans le corps.

La rumeur de lalangue, c’est le son qui nous affecte dedans et dehors, ce qui ne rentre pas dans le corps image, ni dans le discours commun, dans la parole. Du babillage de l’enfant, qui apprend à parler en laissant de côté ce tant de langage que ni corps ni langage ne peuvent plus contenir. L’accent, les erreurs d’intonation, tout ce qui fait bruit, qui se situe au-delà du plan sémantique de la parole. Pour l’entendre, il faut pouvoir l’écrire. Comment écrire ce qui n’est pas représentable ?

Les travaux présentés lors du Xe congrès de l’AMP, Marcus André Vieira les situe en tant que l’écriture de ce réel, cette tentative de cueillir le réel du corps parlant, cela sous trois versants : les témoignages de passe, le cas cliniques et les plénières.

Miquel Bassols et Marcus André Vieira nous ont introduits, chacun à son tour, au vif du thème de manière remarquable. Leurs interventions ont touché de près à ce qui du corps parlant se fait entendre au-delà des mots et du sens. L’AMP, réunissant les écoles de plusieurs pays, a fait résonner lors de ce temps collectif de travail, ce qui dans chaque langue entendue, reste comme rumeur, au-delà des traductions simultanées. Cette dimension, inattendue et surprenante, a fait de ce Congrès une expérience du côté du vivant, nous remettant sans cesse à ce que soutient la psychanalyse en tant que pratique : la singularité.

Du corps parlant, une expérience

Une installation de « pièces détachées » suspendues au fil du congrès…

Tout évoquait une mosaïque d’éléments hétérogènes et disparates, des pièces détachées, tout comme les petits sacs en tissu, délicatement brodés au un par un, remis à chaque participant lors de l’accueil, tous différents. Ou l’installation des objets ramenés par les participants, qu’on a vu prendre corps petit à petit. Ou encore l’œuvre de Vik Muniz (Female model standing before a mirror)qui fait l’objet de l’affiche du Congrès. Ou encore, l’intervention d’Eric Laurent, à propos de L’envers de la biopolitique[1], livre qui donne lui aussi corps à ce temps important de travail de la communauté, ponctué par des multiples interventions en plénières, moments remarquables d’élaboration conceptuelle.

Les témoignages de passe y trouvent une place privilégiée, comme avait déjà anticipé Marcus André Vieira dans son texte de présentation du Scilicet[2], attestant de comment chaque analyste a « eu affaire à la dimension de lalangue du sinthome à l’horizon extrême de la conclusion de la cure, une fois vidé le roman du fantasme qui les dirigeait, jusqu’alors, dans l’existence » ; faisant entendre dans cette dimension du dire la « substance jouissante », présence active de la singularité en tant que « substance parlante du corps ».

Deux moments forts s’y ajoutent, amenant à cette mosaïque la parole vivante par la présence de deux invités. José Miguel Wisnik, musicien brésilien, nous parle de la résonance, y mettant de sa voix, de son souffle, de son timbre. Le son, le sens, le ton et le bruit. Son intervention a été de l’ordre de l’expérience, extraordinaire, faisant vibrer dans les corps parlants les échos de son dire singulier. Par ailleurs, Eduardo Viveiros de Castro, anthropologue brésilien, s’est penché sur ce qui est propre de l’indigène pour nous parler du corps, là où vient se loger la singularité, la différence et la transformation.

Le moment de conclure, Jacques-Alain Miller nous a fait entendre l’origine commune de l’inconscient et de la pulsion, voire même l’équivalence, sur laquelle repose le parlêtre lacanien. Next stop : Barcelona.

Maria Novaes

Photos : M. N.

[1] Laurent, E., L’Envers de la biopolitique. Une écriture pour la jouissance, Navarin/Le Champ freudien, 2016.

[2] Association mondiale de psychanalyse, Scilicet. Le corps parlant, sur l’insconscient au XXIe siècle, Collection rue Huysmans, 2015.



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