En préparation de la session 2020 de propédeutique organisée par la Section clinique d’Aix-Marseille intitulée «Clinique de la violence », Hélène Casaus, participante à la Section clinique nous propose un extrait d’Enfants violents de Jacques-Alain Miller, intervention de clôture de la 4ème journée de l‘Institut psychanalytique de l’Enfant, le 18 mars 2017 à Paris.
« 4. Faisons un pas de plus en nous demandant de quelle pulsion la violence, et spécialement la violence chez l’enfant, serait-elle la satisfaction ? Je tenterai cette réponse – la violence n’est pas un substitut de la pulsion, elle est la pulsion. Elle n’est pas le substitut d’une satisfaction pulsionnelle. La violence est la satisfaction de la pulsion de mort. Remarquons en effet que l’adversaire d’Éros dans le mythe auquel se réfère Freud, l’adversaire de l’amour n’est pas la haine, c’est la mort, Thanatos. Il faut là différencier la violence et la haine. La haine est du même côté que l’amour. La haine comme l’amour sont du côté d’Éros. C’est pourquoi Lacan est justifié de parler d’hainamoration, mot qui a fait fortune. L’amour comme la haine sont des modes d’expression affective de l’Éros.
5. La haine est du côté d’Éros, elle est en effet un lien à l’autre très fort, elle est un lien social éminent. J’ai récemment lu quelque part un Appel contre les partisans de la haine. Je me dis que je ne suis pas un partisan de la haine. Marine Le Pen, je ne la hais pas ; d’une certaine façon, je ne l’aime pas assez pour la haïr. Dans cet ordre d’idées, je suis plutôt porté à me moquer. En revanche, dans le courant dont elle est issue, une hainamoration pour les Juifs est très lisible. On leur prête des pouvoirs fantastiques. Le peuple juif y est visiblement l’objet d’une extraordinaire fascination, peuple antique qui a survécu à la persécution grâce à son rapport à la lettre, au littoral de la lettre. C’est à la fois un objet de fascination et de répulsion, alors que pour ma part, ne haïssant pas les fachos, je suis d’autant plus porté à une violence à leur égard
6. La violence, elle, est du côté de Thanatos. Pour reprendre le titre d’un livre célèbre de La Boétie, l’ami de Montaigne, c’est la jouissance du Contr’un(1). Chez Freud, classiquement, Éros fabrique du Un, met du liant, tandis que Thanatos défait les Uns, délie, fragmente, je dirai même éparpille façon puzzle, pour reprendre une phrase fameuse des Tontons flingueurs. L’enfant violent, c’est celui qui casse et qui trouve une satisfaction dans le simple fait de briser, de détruire. Il faudra s’interroger sur la jouissance qui y est impliquée et sur ce que l’on pourrait appeler « le pur désir de destruction ». Quand on dénonce les casseurs, on dénonce en fin de compte la pure jouissance de casser. On ne dénonce pas la politique des casseurs, on dénonce le plus-de-jouir impliqué dans la violence des casseurs.
[…]
7. Essayons d’introduire une pragmatique de l’abord de l’enfant violent dans notre champ. Il se peut que la violence de l’enfant annonce, exprime une psychose en formation. À mon avis, il faut s’interroger sur les points suivants :
a) La violence chez cet enfant est-elle une violence sans phrase ? Est-ce la pure irruption de la pulsion de mort, une jouissance dans le réel ?
b) Le patient peut-il la mettre en mots ? Est-ce une pure jouissance dans le réel, ou bien est-elle symbolisée ou symbolisable ?
c) Que ce soit une pure jouissance dans le réel ne signe pas nécessairement la psychose. Cela ne constitue pas nécessairement une promesse de psychose. Cela traduit dans tous les cas une déchirure dans la trame symbolique dont il s’agit de savoir si elle est punctiforme ou étendue.
d) S’il s’agit d’une violence qui peut se parler – il y a même parfois des violences bavardes –, reste à savoir ce qu’elle dit. On cherche alors ce que j’appellerai une trace de la paranoïa précoce […] »
(1) Cf. La BoétieÉ. de, De la servitude volontaire ou Contr’un, Paris, Gallimard, 1993
Catégories :Newsletter SC, Session 2020
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