SC. "L’inconscient se manifeste toujours comme ce qui vacille", par Elisabeth Pontier

En préparation des Conférences d’introduction à la psychanalyse organisée par la Section clinique d’Aix-Marseille intitulées « L’invention de l’insconscient », Elisabeth Pontier, psychanalyste à Marseille, membre de l’ECF, enseignante à la Section clinique d’Aix-Marseille commente la phrase de Jacques Lacan, « l’inconscient se manifeste toujours comme ce qui vacille » et en tire quelques conséquences.

En 1964, J. Lacan reprend son séminaire à l’Ecole Normale Supérieure, il enfonce le clou de son retour à l’invention freudienne, mais un retour qui n’est pas religieux et qui, pour être fidèle à Freud, n’en nécessite pas moins sa critique, en particulier la critique de son amour du père.

L’inconscient freudien, structuré comme un langage.

Dans la leçon du 22 janvier 1964 du Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, on peut lire : « L’inconscient se manifeste toujours comme ce qui vacille dans une coupure du sujet. »

Jusqu’ici quelle était la conception de l’inconscient pour Lacan ? Sa conception était freudienne : celle d’un inconscient structuré comme un langage, c’est-à-dire que dans l’inconscient « ça parle » et ça obéit à des lois. D’une part, celles que l’anthropologie avec Levi-Straus définit comme étant celles de la parenté. En effet, préexistent au sujet, des paroles qui lui assignent une place dans la filiation, dans la famille. Les signifiants qui lui préexistent organisent des rapports entre les êtres parlants. D’autre part, il y a les lois selon lesquelles les signifiants jouent tout seuls en s’articulant selon deux modes, relatifs aux processus primaires de Freud : la condensation et le déplacement. Lacan retrouve là chez Freud les deux processus définis par la linguistique : la métaphore qui vaut pour la condensation et la métonymie qui vaut pour le déplacement. C’est dans un achoppement, un ratage, un oubli comme dans le célèbre exemple rapporté par Freud de l’oubli du nom Signorelli, que les associations du sujet peuvent remonter la piste de l’inconscient. C’est le « maître absolu » – la mort – qui disparaît dans les dessous avec l’oubli du signifiant Signor, la mort étant ce que refoule le sujet Freud. Lacan renvoie également au chapitre sur l’Oubli dans les rêves dans L’interprétation du rêve de Freud ; par exemple le rêve de « canal » qui, par le witz qui le sous-tend, révèle les intentions hostiles de la patiente faussement admirative de Freud. Le mot « canal » est « un petit morceau de son inconscient, en même temps qu’une allusion à celui-ci » dit Freud[1]

Mais alors qu’est-ce qu’apporte Lacan à la définition de l’inconscient freudien dans ce séminaire ?

L’inconscient lacanien : une béance.

La nouveauté ici quant à la définition de l’inconscient tient au fait que Lacan donne à celui-ci le statut d’une « béance »[2]. Il nous le fait saisir par l’aspect tout particulièrement évanescent de l’inconscient – se manifestant comme ce qui vacille. « Achoppement, défaillance, fêlure. »L’inconscient n’est plus réduit, comme avec Freud, à un texte latent sous le texte manifeste, le chapitre censuré de mon histoire. L’inconscient fait signe de son existence à partir d’une « discontinuité » dans le discours de l’analysant. Mais il n’est pas déjà là, il relève plutôt d’un vouloir être. Et c’est la présence de l’analyste et son désir qui soutiennent sa réalisation.

En portant l’accent sur la béance, Lacan s’écarte de toute conception de l’inconscient comme force obscure et de la psychanalyse comme psychologie des profondeurs. « Les analystes de la seconde et de la troisième génération […] se sont employés, en psychologisant la théorie analytique, à suturer cette béance. » Ce que Lacan promeut avec la béance c’est le concept de cause. La cause est béance par excellence. « Chaque fois que nous parlons de cause, il y a toujours quelque chose d’anticonceptuel, d’indéfini. […] il y a un trou, et quelque chose qui vient osciller dans l’intervalle. Bref, il n’y a de cause que de ce qui cloche. »
Comment entendre le sujet de l’inconscient au sens où Lacan en parle ici, c’est-à-dire articulé à une coupure ? Qu’est-ce qui caractérise ce sujet lacanien ?

C’est son indétermination, toujours entre deux signifiants. Lacan ajoute : « C’est toujours du sujet en tant qu’indéterminé qu’il s’agit. » Le sujet en effet n’est pas le moi. Dans le moi, on se reconnaît, on se mire, voire on s’admire. Alors que le sujet se caractérise de ne pas savoir qui il est, cela se manifestant en particulier quand il dit autre chose que ce qu’il voulait dire. Cela peut l’interloquer, le rendre perplexe, voire être gênant, révélant quelque chose que le sujet aurait préféré garder pour lui. « Le sujet se sent dépassé, par quoi il en trouve à la fois plus et moins qu’il n’en attendait – mais de toute façon, c’est, par rapport à ce qu’il attendait, d’un prix unique. »

On a donc cette paire inédite d’un inconscient évanescent et d’un sujet qui ne sait pas qui il est, qui s’interroge sur ce qu’il a voulu dire, sur ce qu’il veut sur la scène inconsciente de son désir.

Quelles conséquences sur la technique analytique ?

Si l’inconscient se manifeste dans un moment d’ouverture, de discontinuité, il convient, pour qu’il se révèle, de favoriser ces moments par des séances ponctuées. Il faut se rappeler que c’est la séance de 45 minutes qui s’imposait alors, la durée fixe venant recouvrir et fermer tout ce qui avait pu faire ouverture dans la séance. Le non respect de ce standard, parce qu’il est contraire à la révélation de l’inconscient, a valu à Lacan son exclusion de la liste des didacticiens : « Tout discours n’est pas inoffensif – le discours même que j’ai pu tenir ces dix dernières années trouve là certains de ces effets. »

Une autre conséquence sur la technique est que cette définition pose la question de la fin de l’analyse. Si le sujet est indéterminé par structure et l’inconscient toujours à naître, comment terminer la cure, produire un « c’est ça », sortir de cette indétermination ?

[1] Freud S., Ecrits philosophiques et littéraires, Seuil, 2010, p. 474.

[2] Cette citation et les suivantes  sont extraites de cette leçon du 22 janvier 1964



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