SC. "Histoire de la folie : Foucault avec Lacan", par Renée Adjiman

En préparation de la Section clinique 2020 d’Aix-Marseille qui a pour thème « Comment s’orienter dans la clinique aujourd’hui? », Renée Adjiman, enseignante associée, nous livre un texte intitulé Histoire de la folie: Foucault avec Lacan 

Le livre Histoire de la folie à l’âge classique  est tiré de la thèse du philosophe Michel Foucault, soutenue en mai 1961 sous le titre  Folie et déraison .  Il sera publié en 1972 chez Gallimard [1]. Michel Foucault y démontre la façon dont l’ordre moral d’une époque entraîne la ségrégation des « fous », leur exclusion et enfin, leur enfermement. Raison et déraison sont les deux critères pour sanctionner le comportement des individus à travers les âges.  Dégagé les modalités de l’enfermement conduit MF à éplucher les archives  de l’hôpital, il s’appuie sur de nombreuses références empruntées à la peinture, à la littérature et au théâtre, sans oublier les grands penseurs des siècles derniers.

Pour rendre compte de la thèse de Foucault, nous allons répondre à deux questions sélectionnées dans la mine d’informations qu’il expose. 

-Quelles sont ses hypothèses directrices ?

-En quoi le discours de la psychanalyse et de Lacan en particulier sur la folie, vient-il corroborer les analyses de Foucault

1. La thèse de Foucault

Au Moyen-Âge, toute personne venant troubler l’ordre social pouvait être enfermée car considérée comme un « danger pour l’état »[2]. ils sont dans un premier temps,internés dans les léproseries ce qui fera dire à Foucault que « le véritable héritage de lèpre c’est le phénomène de la folie ». [3] Donc, pendant longtemps, la folie a été liée au mal.

Mais à l’âge classique, les fous cessent d’être omniprésents dans l’espace social ; on les enferme à « l’hôpital général » au même titre que les mendiants, les déviants, etc.. Ils font alors partie de la catégorie des « insensés » avant d’être définis comme fous par la psychiatrie au XVIIIe et au XIXe siècle.  C’est le maintien de la morale chrétienne qui fixe le « partage entre la raison et la folie. »[4] Tous ceux qui n’entraient pas dans les normes de la société, comme les réfractaires à l’ordre familial, les libertins, les homosexuels étaient considérés comme des asociaux.  L’enfermement avait donc une visée correctionnelle. 

Au cours du XIXe siècle, elle est appelée « folie morale » car elle n’est pas reconnue comme une maladie car elle provient de la volonté de l’homme. Par conséquent l’internement du fou à comme fonction de maitriser la déraison. Aussi MF défend la thése suivante : « Enfermer l’insensé avec le débauché ou l’hérétique estompe le fait de la folie, mais dévoile la possibilité perpétuelle de la déraison et c’est cette menace dans sa forme abstraite et universelle que tente de dominer la pratique de l’internement. »[5] La déraison est donc une menace pour la société.

Il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle pour que la folie prenne le statut de « maladie mentale » Le fou change de statut il devient  objet de savoir, donc objet pour la science. Ses manifestations font l’objet d’une classification des troubles donnant naissance au cadre nosologique, début des grandes synthèses psychiatriques et des  systèmes de la folie.

Alors, l’asile apparaît, l’internement est médicalisé, la discipline psychiatrique commence à se développer. On va observer les malades mentaux, les faire écrire (d’où le nombre de textes écrits par des fous à cette époque), les traiter souvent de manière terrible, les exhiber. Il faudra attendre l’époque de Pinel pour que la folie ne soit plus « (…) qu’un avatar involontaire arrivé de l’extérieur à la raison »[6] et découvrir avec horreur la situation des fous dans les cachots et dans les hospices.

La folie se médicalise et les aliénistes deviennent des psychiatres. Ceux-ci vont alors mettre en place un système de thérapies nouvelles basées sur le savoir biologique. C’est l’époque du début des dissections du cerveau (anatomie pathologique). On pesait le cerveau pour évaluer « la lourdeur de sa folie ».

Vont se succéder les thérapies, comme les électrochocs, le Sakel (cure d’insuline), la psychochirurgie, qui est la lobotomie et, en 1950 commence la recherche de la chimiothérapie en donnant une large place aux neuroleptiques.

Le coup de force de Foucault est d’avoir démontré que classer à partir du binôme raison / déraison délivre une violence cachée.

 2. Lacan et Foucault

La position psychiatrique est clairement définie par Michel Foucault dans L’histoire de la folie. Il démontre la mutation essentielle au moment où ces fous ont été enfermés. Aujourd’hui, on ne tente pas de les isoler mais on élève d’autres barrières. Celles d’un savoir constitué qui vise à nous éviter la rencontre avec la folie.

Reprenons les propos de Jacques.Lacan sur Michel Foucault. « Il y a un monsieur qui s’appelle Michel Foucault et qui a écrit l’ Histoire de la folie ; il explique, il met en valeur (…) il démontre magnifiquement la mutation, la mutation essentielle, qui résulte du moment où ces fous – avec lesquels, enfin, on en avait agi jusque-là, mon Dieu, comme on avait pu… en fonction de toutes sortes de registres et principalement les registres du Sacré – tous ces fous ont été traités, ont été traités de la façon qu’on appelle humanitaire, à savoir : enfermés. » [7]  Il ajoute plus loin « On ne commence à avoir l’idée de symptôme qu’à partir du moment où le fou est isolé… l’isolation, la ségrégation du fou a permis qu’il devienne un objet d’étude et la psychiatrie s’est ainsi constituée. La psychanalyse et en particulier le dernier enseignement de Lacan concernant  «le déclin de l’ordre symbolique patriarcal ,nous offre des outils conceptuels qui nous permettent de saisir la dérégulation des modes de jouissance et les nouveaux régimes normatifs qui cherchent à les juguler. »[8] Explique Aurélie Pauwafel [9] elle ajoute  que « l’apport de la psychanalyse, au questionnement philosophique concernant les normes, tient justement au caractère radicalement hors normes de cette expérience, qui permet de théoriser non seulement les processus de normalisation par l’Autre mais la normativité subjective et son pouvoir subversif ». [10]

Avec Lacan la folie n’est pas une affaire neurologique, elle n’est pas une affaire de dysfonctionnement, de faiblesse mentale, de défaillance intellectuelle et encore moins de transmission génétique. Elle est une affaire de parole, elle est une affaire de voix. On a affaire à « des maladies de la parole ». Ce que le discours de la science aimerait bien forclore. Alors Lacan et Foucault partagent les mêmes préoccupations : la folie est un fait de civilisation et la civilisation produira à l’avenir « une nouvelle répartition interhumaine et qui s’appellera l’effet ségrégation. »[11]

 

[1] Foucault Michel., Histoire de la folie à l’âge classique, édition Gallimard 1972

[2]. Ibid., P111

[3]Ibid.,  P.21                                                                                                                                                                                                

[4].Ibid., p. 189

[5]. Ibid., p. 210

[6].Ibid., p. 189

[7] http://www.psychasoc.com/Textes/Petit-discours-aux-psychiatres-de-Sainte-Anne?print

[8] Pauwafel Aurélie https://www.theses.fr/2016PA01H216  

[9]Ibid.,   

[10]Ibid.,

[11] http://www.psychasoc.com/Textes/Petit-discours-aux-psychiatres-de-Sainte-Anne?print p. 13



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