En préparation de la session 2020 de propédeutique organisée par la Section clinique d’Aix-Marseille et intitulée « Clinique de la violence », Philippe Devesa, participant à la Section clinique, traite de la question du délire des actes.
Le délire des actes prend ses sources chez Pinel et Esquirol sans être nommé de la sorte. C’est à Brière de Boismont que nous le devons. De nos jours, nous parlerions plutôt de psychopathie. Qu’est-ce que cela nous enseigne ? C’est dans le passage à l’acte psychotique que le délire des actes trouve véritablement ses prolongements. Passé de mode, il n’est pas inintéressant d’y porter attention. Il est toujours utile de lire les classiques de la psychiatrie. D’une part, cela nous enseigne sur ce qu’est un acte délirant ou s’il est le signe d’un délire sous-jacent. D’autre part, le délire des actes permet de revenir sur la question des psychoses non déclenchées.
En 1962, lors d’une discussion sur « La valeur séméiologique des comportements délirants[1] » Henri Ey déclarait : « cette malade qui fugue et couche avec un camionneur qu’elle décrit comme une nourrice bienveillante n’a pas de thématique délirante selon M. Lab. Son délire est « un délire des actes » auraient dit les anciens auteurs[2] ». Où commence le délire se demande-t-il ? Certains sujets font des actes extravagants, dangereux ou absurdes sans que le délire se manifeste « par autre chose que ces actes »[3]. Chez notre auteur, le délire peut n’apparaitre que dans les actes. Ainsi, ce n’est pas parce que le sujet ne témoigne pas d’idées délirantes qu’il n’y a pas délire. En effet, Ey s’appuie sur l’exemple des sujets schizophrènes qui paraissent normaux, dit-il, « sauf dans la manifestation de certains actes discordants ». C’est que sous les actes, Ey précise que nous rencontrons l’autisme, c’est-à-dire « une modalité imaginaire d’être dont la thématique peut être plus ou moins expressive mais dont la structure est radicalement différente de la vie psychique normale[4] ».
Aux sources du délire des actes, nous retrouvons Pinel qui dans son Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale (1809) déclarait la chose suivante : « Je ne fus pas peu surpris de voir plusieurs aliénés qui n’offraient à aucune époque aucune lésion de l’entendement et qui étaient dominés par une sorte d’instinct de fureur[5] ». Esquirol, quant à lui, soulignait dans ses monomanies que nous rencontrons, parfois, de désordre, que dans les actions.
Brière de Boismont est considéré comme étant à l’origine du « délire des actes ». En 1867, il publie De la folie raisonnante et de l’importance du délire des actes pour le diagnostic en médecine légale[6] ». Il témoigne d’un intérêt pour ces patients qui présentent une « opposition des discours et des actes nommant cette forme de folie « folie d’action ».
De la période allant de Pinel à la fin des années 1869 Foville (fils) trace une synthèse rigoureuse dans son article sur le délire (1869). Le délire des actes ne se manifeste que par des actes sans trouble du jugement. Mais il reconnaît qu’ils sont le plus souvent « le résultat de sensations et de conceptions délirantes ». L’acte est la conséquence logique des idées délirantes ou du délire sous-jacent.
De nos jours, le terme de psychopathie évacue la dimension du délire, de la psychose et de l’acte. Elle s’exprime dans la facilité du passage à l’acte, l’impulsivité, l’agressivité de certains sujets. Cependant, l’acte comme concept a une importance théorique et clinique. Avec la naissance de la psychanalyse, nous pouvons distinguer la pulsion de l’instinct. Lacan y insiste en 1960, lorsqu’il écrit : « la pulsion freudienne n’a rien à faire avec l’instinct[7] ». La parole du sujet reste une boussole pour nous orienter dans la clinique. En son temps, B. Ball insistait sur ce principe : « il faut laisser parler le malade[8] ».
Enfin, le délire des actes indique en sa formulation qu’il est question de délire. Il en va autrement du passage à l’acte qui se rencontre dans les diverses structures cliniques. Lacan, psychiatre de formation, s’est bien évidemment intéressé à ces questions où il aborde les liens du passage à l’acte dans ses rapports à la personnalité. Au prix certes, ce passage à l’acte de le dépsychiatriser et de considérer qu’il dévoile « la structure foncière de l’acte[9] ».
Le délire des actes nous intéresse dans le sens où le délire des sujets peut ne se manifester que dans des actes ou des conduites à risque. Comme le rappelle H. Ey, c’est « l’acte à la place du langage ». Plutôt que de les insérer dans la psychopathie, ne pourrait-on faire l’hypothèse de psychoses non déclenchées ? L’acte ferait signe du déclenchement de la psychose jusqu’alors non déclenchée.
[1] Lab P., « La valeur séméiologique des comportements délirants », in Entretiens psychiatriques 7, 1962, 157-69
[2]Ibid., p. 169
[3] Ibid.
[4]Ibid.
[5] Pinel Philippe, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Paris : Brosson, 1809
[6] Brière de Boismont Alexandre, De la folie raisonnante et de l’importance du délire des actes pour le diagnostic médical, Paris : Baillière, 1867
[7] Lacan Jacques, « Du Trieb de Freud et du désir du psychanalyste », in Écrits, Paris : 1966, p. 851
[8] Ball Benjamin, Leçons sur les maladies mentales, Paris : Asselin et Cie, 1880-1883
[9] Jacques-Alain Miller, « Jacques Lacan : remarques sur son concept de passage à l’acte », in Mental 17, Clamecy, 2006, p. 18
Catégories :Newsletter SC, Session 2020
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