SC. Colloque 2019. « L’invivable » par Claude Parchliniak

Claude Parchliniak est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de psychanalyse et enseignante au Collège clinique de Lille. En préparation du Colloque Psychiatrie- Psychanalyse des 26-27 septembre, elle répond à l’invitation de Patrick Roux, enseignant à la Section clinique d’Aix-Marseille , et s’exprime sur le thème du colloque  « Psychanalyse-Psychiatrie, quel nouage aujourd’hui ? »

« L’invivable »[1]

 Dès sa découverte, Freud a affronté les attaques de la médecine. Peu nombreux furent ceux qui considéraient la psychanalyse avec intérêt. « On pourrait rappeler par quelle absence de bienveillance, voire même quel rejet haineux, le corps médical a réagi dès le début à l’analyse. [2] » Les médecins revendiquaient alors de pratiquer l’analyse, au nom de leur formation médicale. Comme le disait la Société psychanalytique hongroise « L’intérêt du patient, celui de la théorie, ne sauraient être protégés par un diplôme médical, mais seulement par des analystes bien choisis, correctement formés et surtout, des analystes analysés. [3] »  Plutôt un non médecin analysé qu’un médecin qui ne l’est pas.

Dans notre société post-moderne, l’expansion des technologies produites par la science investissent tous les pans de l’activité humaine. Peu de secteurs résistent à la fascination des avancées de la science moderne qui invente une réponse pour chaque demande. Fi de la faille impossible à suturer que désigne l’inconscient. Toutes les institutions, qu’elles soient médicales, sociales, éducatives, administratives, politiques, sont transformées par le chiffrage.

La psychiatrie est devenue une spécialité médicale de même que la pédopsychiatrie. Elles se sont peu à peu laissé séduire par l’apparente facilité d’utilisation proposée par la nosographie anglo-saxonne de type DSM. À chaque trouble sa molécule, le sujet n’est plus pris en compte. La psychologie qui a adopté le cognitivisme s’est largement associée à ce mouvement. « À quoi sert l’écoute si elle ne traite le sujet que comme un outil à réparer, proposant des protocoles de reconstruction de soi, de gestion du stress, ou d’échelles quantitatives mesurant l’intensité de la dépression ? [4] » La médecine semble avoir oublié que « de tout temps la médecine a fait mouche grâce aux mots [5] ». La tendance actuelle de la psychiatrie est d’ignorer voire d’évincer la psychanalyse. Comment résister à ce mouvement mortifère qui mène à une impasse en implantant « l’invivable [6] » au cœur de nos sociétés ?

Les administrations devenues hyper puissantes grâce aux nouveaux moyens de contrôle qu’offrent les algorithmes règlementent, évaluent, y compris ce qui ne peut l’être et veillent surtout à la rigueur budgétaire. C’est ainsi que, depuis des années, le nombre de lits d’hospitalisation a été diminué drastiquement et qu’il est devenu difficile de faire hospitaliser un patient. Quant à la durée de celle-ci, elle est réduite à peau de chagrin.

La psychanalyse qui choisit le désir contre le chiffrage à tout crin, et pour laquelle, comme le formule J-A Miller « le désir, c’est la santé [7] », est l’épine dans le pied de ce mouvement général car elle distingue l’obstacle : il y a un problème sans solution, un trou qui ne se bouchera pas. Elle résiste au rouleau compresseur qui est en marche en refusant de se laisser enrégimenter. Pourtant, en dépit des difficultés, localement, des praticiens en psychiatrie qui ont une éthique, orientés par la psychanalyse lacanienne, trouvent des intervalles pour maintenir leur pratique clinique. Des psychiatres sont dans nos rangs et œuvrent dans certains hôpitaux, cliniques et institutions orientées par la psychanalyse. Ce sont également de jeunes cliniciens, un par un, qu’ils soient psychiatres, médecins, psychologues etc. déboussolés dans leur abord des patients qui trouvent repères et abri pour leurs questions au Collège clinique. Nous les y accueillons et leur permettons de trouver une orientation en se formant à l’éthique, à la clinique et aux concepts de Lacan

[1] Miller J.-A., « La civilisation occidentale tend à devenir invivable », Libération, 19 janvier 2008.

[2] Freud S. La question de l’analyse profane, NRF, Gallimard 1985, p. 145.

[3] Ibid., p. 196.

[4] Cottet S., L’inconscient de papa et le nôtre, éd. Michèle, p. 11.

[5] Lacan J., Télévision, Seuil, 1974, p. 17.

[6] Miller J-A, « La civilisation occidentale tend à devenir invivable », article cité.

[7] Miller J-A, « Psychothérapie et psychanalyse », La Cause freudienne n°22, p. 12.

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