SC. Colloque 2019 – Interview – Pierre Forestier

En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, Pierre Forestier, psychanalyste à Lyon, membre de l’École de la cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse, enseignant à la Section clinique de Lyon, répond aux questions de Sylvie Berkane-Goumet, psychanalyste à Marseille et enseignante de la Section clinique.

Lacan conclut son articleLa psychiatrie anglaise et la guerre[1], paru en 1947, par ces mots : « Il nous semblerait digne de la psychiatrie française qu’à travers les tâches mêmes que lui propose un pays démoralisé, elle sache formuler ses devoirs dans des termes qui sauvegardent les principes de la vérité.» Le propos ponctue l’évocation des abus de pouvoir auxquels ouvre le XXème siècle qui développe des moyens d’agir sur le psychisme par le maniement des images et des passions.

Que vous inspire cette citation au regard de l’actualité ? La psychanalyse a-t-elle cette même part à jouer ?

Ce propos date de 1947. Lacan, en cette période d’immédiat après guerre est particulièrement attentif à la situation de la psychiatrie française. Il participe aux débats avec Henri Ey à Bonneval l’année précédente, où il donne sa position sur la causalité psychique. Après cette période de guerre, «  l’humiliation de notre temps » (Ecrits, p. 151). Lacan considère que le devoir de la psychiatrie française dans un contexte de pays démoralisé est de s’orienter par rapport à la vérité, et de prendre appui sur l’exemple anglais qui a «  fait usage de sa science au singulier et de ses techniques au pluriel » (Autres écrits p. 102). Un bon usage qui sans doute permet de limiter les abus de leurs pouvoirs.

La psychanalyse a certainement le même rôle à jouer aujourd’hui. Le secteur psychiatrique est en crise, ses acteurs sont démoralisés par leurs conditions de travail et les limites aux réflexions sur leurs différentes pratiques du fait de l’importance accordée à l’évaluation et aux protocoles d’une part, et à l’imagerie cérébrale qui permettrait abusivement de rendre compte de tout problème psychique, d’autre part. La position de Lacan est d’abord éthique telle qu’on la repère avec ses termes «  devoir » et «  dignité » . L’expression  « rapport véridique au réel » (Autres écrits p. 101) que Lacan utilise pour le peuple anglais à l’époque pourrait nous servir d’ orientation aujourd’hui, à un niveau individuel aussi bien que collectif nouant ainsi clinique et politique.

Votre expérience clinique témoigne-t-elle d’un nouage possible ou souhaitable entre la psychiatrie et la psychanalyse

Je suis d’une génération où la formation des psychiatres était obligatoirement liée à la psychanalyse : en début d’internat il fallait être en analyse ou bien s’empresser de dire qu’on allait en suivre une. C’est devenu comme un impératif idéologique dont on a pu voir les points de butée voire les impasses, avec la multiplication des réunions dites institutionnelles. Mon expérience clinique hospitalière en CHS à Lyon et à l’hôpital général en service d’urgences médicales pendant plus de 15 ans était en référence à la psychanalyse , pour traiter la particularité de chacun en rapport au symptôme plutôt que de s’appuyer sur la phénoménologie ou la sémiologie psychiatrique. De même dans ma pratique libérale cette CST , clinique sous transfert , comme l’a nommée Jacques-Alain Miller,  a été un outil pour  faire un diagnostic et m’orienter  face à « un qui souffre ». Le contrôle est toujours précieux : au début de ma pratique, l’intervention du contrôleur me disant d’une jeune femme paranoïaque qu’elle  « m’avait a l’œil » a permis  de rectifier ma position et de contrer mon angoisse.

De quelles questions devrait, selon vous, traiter un colloque psychiatrie-psychanalyse ? 

Quelle place accorder aujourd’hui à la notion de structure clinique, névrose, psychose, perversion, ? garde-t-elle sa pertinence pour s’orienter au regard de la nosographie psychiatrique ? Comment un psychanalyse peut-il s‘inscrire dans une institution ? Comment accueillir aujourd’hui à l’hôpital un enfant, un adolescent, un adulte ou une personne âgée ? Comment redonner toute sa dimension à la notion de symptôme au regard des troubles des conduites traitées par les TCC ? Une clinique du passage à l’acte comme symptôme contemporain me parait essentielle de même qu’aborder les urgences en terme d’urgence subjective.

Une réflexion à ajouter ?

Paradoxalement au moment où la psychanalyse apparaît à contre courant du discours dominant, aujourd’hui de plus en plus de demandes sont adressées à la psychanalyse ou au psychanalyste  par des praticiens hospitaliers pour des supervisions de soignants ou des présentations de malades à l’hôpital : c’est toujours à partir du désir d’un en particulier et non d’une directive de la hiérarchie. Peut-être est-ce là le signe des limites du travail orienté par les neurosciences et un possible avenir pour la psychanalyse comme « fine fleur de la médecine », pour reprendre l’expression de Lacan.

[1] Lacan J., « La psychiatrie anglaise et la guerre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 120.

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