En préparation du Colloque Psychiatrie-Psychanalyse des 26-27 septembre, Paul Marciano, pédopsychiatre et psychanalyste à Marseille répond aux questions d’Hélène Casaus, participante à la section clinique d’Aix-Marseille.
Ce colloque est intitulé, « psychanalyse et psychiatrie quel rouage aujourd’hui ? La clinique comme boussole » Qu’est ce que ce titre évoque pour vous, en lien avec votre pratique ?
La pédopsychiatrie est indissolublement liée à la psychanalyse. D’ailleurs si l’on remonte un peu dans l’histoire, très tôt, lorsque la pédopsychiatrie a commencé à se séparer de la psychiatrie, la psychanalyse a été pour ainsi dire « convoquée ». Je repense à Serge Lebovici, Michel Soulé, Roger Misès, René Diatkine… qui étaient psychanalystes et qui ont favorisé et inscrit très tôt ce nouage entre ces deux disciplines. Actuellement, c’est souvent à propos des retards scolaires et de l’autisme en particulier que cette question de nouage est contestée.
Ce matin j’ai reçu un enfant qui venait pour des difficultés dans les processus d’acquisitions scolaires. Il vit chez une famille de l’ASE[1]. Il évoquait assez spontanément ses cauchemars. Lorsque je lui demandais quel en était le thème il me disait très « joliment » « Je rêve que je suis tout petit, tout petit et que je suis obligé de porter une page de dictionnaire qui pèse 60 kgs ». On ne peut pas ne pas penser par hypothèse, chez ce jeune garçon, aux processus psycho-pathologiques à l’œuvre dans le symptôme cauchemar et dans les processus d’acquisition : il a été « délaissé » par sa mère et a été dans un foyer : Que s’est-il passé, pourquoi un tel « poids » même si l’on considère que le dictionnaire est le lieu des précises définitions ? Questions qui semblent au cœur des ses préoccupations sans qu’il puisse pour l’instant approcher le caractère énigmatique de son histoire…Je donne cet exemple pour situer, à l’inverse, ce que nous « proposent » les neurosciences actuellement, c’est-à-dire considérer qu’il s’agit là d’une difficulté scolaire qu’il va falloir traiter par des méthodes cognitivo-comportementales alors que justement la recherche du sens du symptôme s’impose, me semble-t-il et que l’on risquerait de le méconnaitre.
En outre, je voudrais ajouter que la psychanalyse, dieu merci, nous habitue à la complexité : l’âme humaine, la psychologie, l’homme dans son essence, tout ça est compliqué ! La psychanalyse nous conduit sur les rives de cette complexité alors que les neurosciences, m’a-t-il semblé, nous forcent à établir des relations de type causal. Une vision quelque peu réductionniste qui, à mon sens, risque de confiner à la haine de la complexité et de la pensée. En résumé, la pédopsychiatrie et la psychanalyse sont indissociables. On ne peut pas pratiquer la pédopsychiatrie sans avoir une formation en psychanalyse, sans être soi-même passé éventuellement par le divan pour rester très attentif à ce qu’il en est de la problématique du sujet et de l’écho qu’elle a avec nos propres interrogations, nos zones obscures, en somme notre propre conflictualité.
Dans votre pratique ce à quoi vous êtes le plus attaché, qu’est ce qui est le plus important pour vous ?
Ce à quoi je m’attache le plus, est d’essayer de repérer l’expressivité du symptôme, le moment où il a commencé à émerger, son sens, et comment il s’est inscrit dans la dynamique du sujet ? Quels sont les mécanismes psychopathologiques qui font qu’à partir d’un moment ou d’un événement, le symptôme est apparu et comment aussi ce symptôme peut renvoyer à l’économie familiale ? Lorsqu’on parle de dyslexie par exemple, on dit « ah oui, le père de l’enfant était aussi dyslexique, il est donc normal que l’enfant le soit. Mais on ne s’interroge pas forcément sur le sens du symptôme, pourquoi il est apparu chez l’enfant et quel sens il a pour lui dans les mécanismes d’identification au père et dans son propre rapport aux apprentissages en général et à l’écriture en particulier. Et pour continuer de répondre à votre très précieuse question, il est important de considérer l’opportunité de tel ou tel symptôme à un moment donné. Ce qui revient à dire que la recherche de sa suppression ne s’impose pas de fait, sans tenter d’en saisir sa signification. Cependant certaines manifestations pathologiques très invalidantes méritent à coup sûr d’être amendées…
Je vais prendre un exemple au risque de paraître plutôt ridicule. J’ai reçu, il n’y a pas très longtemps un enfant qui était en grande section de maternelle qui tapait les autres enfants avec une violence inouïe. Il mettait l’enseignante dans une situation absolument insupportable tandis que les parents étaient fustigés par les parents des autres enfants. J’ai senti qu’il y avait une sorte « d’urgence », à essayer de régler la situation. J’ai proposé à cet enfant de dessiner ses mains sur une feuille, ce qu’il a fait, et d’évoquer avec lui ce à quoi ses mains pouvaient servir : à caresser, à jouer, à dessiner, à saisir les aliments, disions-nous de concert. Effectivement cet enfant a été, me semble-t-il, sensible au fait que nous évoquions le caractère polysémique de l’utilisation des mains. L’enseignante m’a téléphoné très peu de temps après en me disant qu’effectivement cet enfant ne battait plus ses camarades mais qu’il s’était mis à les mordre… ce qui montre bien que d’une certaine manière, les éléments qui constituent le symptôme, à son origine, existaient toujours. Une remarque voire une interrogation : ma démarche n’a-t-elle exacerbé chez cet enfant les composantes « sadiques » de l’oralité qu’il déployait déjà en direction des activités scolaires dans lesquelles il réussissait parfaitement en déplaçant le symptôme ?
Comment envisagez-vous la formation des jeunes pédopsychiatres ?
En ce qui concerne la formation, je crois qu’il faut revenir aux fondamentaux, d’autant que je suis de ceux qui pensent que la psychanalyse a fait des progrès considérables, son outillage conceptuel s’est enrichi de manière significative et qu’ainsi il faut revenir aux ressorts psychopathologiques, aux conceptions psycho-dynamiques. Comment un sujet peut et doit se définir par rapport à son histoire, à son enfance, par rapport aux mystères des origines ? Cela constitue les éléments absolument déterminants d’un sujet dans le monde, et en même temps des choses complètement passées sous silence le plus souvent. Les nouvelles orientations de l’HAS[2] devant un sujet dépressif exigent, par exemple, de cocher un certain nombre de cases pour identifier la dépression dont il souffre : insomnie, apathie, type de tristesse, indolence etc…, et d’adapter le traitement en fonction des différentes cases que l’on a cochées. Mais quid du pourquoi ce sujet a présenté des éléments dépressifs ? Certains étudiants, certains jeunes psychiatres ignorent, cette analyse psychopathologique. On ne peut pas leur en tenir grief puisqu’ils n’ont pas été formés, dans cette dimension.
Voudriez-vous rajouter quelque chose ?
On a trop tendance à considérer que la psychanalyse se serait d’une certaine manière essoufflée alors que j’ai vraiment la conviction que les directions qu’elle ouvre sont considérables. Il y a effectivement des voies heuristiques gigantesques qui s’offrent à nous et c’est ça qui est extrêmement stimulant. Peut-être que je terminerai là-dessus : la psychanalyse est quelque chose de très vivifiant, très stimulant, c’est une discipline vivante….
[1] Aide Sociale à l’Enfance
[2] Haute Autorité de Santé
Le programme et la liste des intervenants
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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